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de la gravitation" 26. Elle sert à apprécier "l'utilité pratique de la diététique et de la
médecine"
27. Mais à cette occasion, derrière l'usage du paradoxe qui fait du sol le
moins épargné un "pays des longs jours"
28, point le vif désir de s'arracher à la
vieille théorie des climats. Chère à Montesquieu
29, elle participait au vieux partage
mental du monde en Nord/Sud sans pourtant méconnaître l'influence prééminente
de la nature des institutions sur les hommes. Or, dans un monde où l'exploration
physique touche au but, c'est justement sur ce point que va se cristalliser la pensée.

Ainsi, les contrées "dont la longévité est la plus grande, sont en même temps
celles où la civilisation est la plus avancée, où les institutions sont les plus
libérales" 
30. D'ailleurs, la coïncidence entre le nombre record des centenaires et
celui, effrayant, de la mortalité infantile, se retrouve dans les deux pays qui se
targuent d'avoir les chiffres les plus grands de la longévité. En Amérique comme en
Russie, l'esclavage règne et détache les mères d'enfants qui ne sont déjà plus leur
propriété. Les épreuves que permettent des institutions si barbares, sélectionnent
parmi eux des êtres exceptionnels "de ces êtres rares et extraordinairement robustes,
déjà préparés à soutenir le choc de la vie par une constitution reforgée à l'enclume
de la misère, et tellement endurcis aux coups du sort, qu'ils en deviendront pour
ainsi dire inaccessibles aux maladies, et ne verront la lampe de leur vie s'éteindre
qu'après que la dernière goutte d'huile en sera consumée (...). Mais les peuples,
qui font trophée de cette frêle et coûteuse acquisition, ne l'obtiennent que par le
sacrifice journalier et toujours renaissant d'une foule d'enfants qui n'auraient point
dû naître et qui n'apparaissent un moment sur l'avant-scène du théâtre de la vie, que
pour aller se plonger dans la nuit du tombeau"
31.

Alors, puisque le nombre des centenaires auxquels se fiaient pourtant les
Romains
32et les Scythes ne compte plus, on va s'attacher à comparer vie moyenne
et vie probable. La première est le résultat de longs calculs qui déterminent le
nombre d'années que l'on peut espérer atteindre à chaque âge de la vie ; la seconde
donne l'âge médian auquel la moitié d'une population déterminée peut prétendre
arriver.

Les virtuosités d'une statistique toute entière vissée à l'observation des
antagonismes mettront en évidence les avantages de l'aisance et du calme, vertus
bourgeoises par excellence. Véritable apophtegme de l'hygiène conjuguée à
l'idéologie régnante, la recette du centenaire concentre les résultats de cette tentative
d'appréhension rationnelle du vivant :

"L'homme qui doit vivre longtemps.

"Sa taille est convenable et bien proportionnée sans être trop grande ; il est de
grandeur moyenne et un peu gros ; son teint n'est pas trop vermeil; trop de couleur
dans la jeunesse est rarement un signe de longévité. Ses cheveux sont plutôt blonds
que noirs ; sa peau est ferme sans être rude ; sa tête n'est pas trop grosse, de larges


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26Dr. SMITH, "De l'influence des conditions physiques et morales sur la longévité ; des époques
de la vie et de la durée de celle-ci chez les anciens Romains, dans l'Europe moderne, et
actuellement en Angleterre, dans la nation prise en masse et dans les classes élevées"; Traduction
du 4ème chapitre de The philosophy of health, HPML, XV, (1836), p. 9.
27Pr. CASPER (de Berlin), "De la durée vitale notable chez les individus qui exercent la
profession de médecin", Extrait de la Gazette Médicale,hebdomadaire de Berlin nº du 3/1/1834,
HPML, XI, (1834), p. 375.
28BENOISTON de CHATEAUNEUF, ibid.,p. 264.
29Esprit des lois, livre XV, chap. 7 ; livre XVII, chap. 2.
30BENOISTON de CHATEAUNEUF, ibid.,p. 271.
31D'IVERNOIS, ibid., p. 292.
32Le premier Censusconnu répertorie 124 centenaires mâles vivants entre le Pô et les Apennins
sous Vespasien (d'après Pline le Jeune). D'IVERNOIS, ibid.,p. 287.

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