1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 100 101 102 103 104 105 106 107 108 109 110 111 112

Le culte fut christianisé: des statues de saints (qui ne sont que des avatars du culte païens des héros) furent élevés au-dessus des sources, une petite chapelle aménagée autour. L'Eglise fabriqua même sa propre eau sacré: l' "eau bénite", si utile dans ses multiples usages superstitieux, souveraine contre toutes les manifestations du malin, et qui en même temps devient un élément indispensable de la liturgie; humectant obligatoirement les doigts des fidèles qui se signent à l'entrée du temple, sa sacralité potentialisait celle de la croix.

Les rituels chrétiens durent ainsi gérer les appréhensions populaires du sacré, alors que leur idéal prosélitique eût été de les vaincre. Et, de fait, gérer la pensée sauvage fut la principale occupation du christianisme, surtout lorsqu'il s'agissait d'encadrer les manifestations de sauvagerie que recèle sa propre doctrine.

§ 2. Abstraire sa propre sauvagerie

Les dilemmes de l'ascétisme chrétien ; ont trait aux pratiques alimentaires qui soutiennent le culte. Ces rituels alimentaires proviennent à deux sources. La première provient du fait que l'origine juive du mouvement a apporté avec elle une tradition de prescriptions alimentaires qui est solidement ancrée dans les moeurs et les croyances des premiers fidèles mais qui n'est pas réutilisable telle quelle par le dogme chrétien. En effet, pragmatiquement, ce ne sont pas tant les différences sur le fond que les différences de rituels qui font les différences entre les religions.

La deuxième source provient du fond culturel commun aux convertis païens: l'alternance des jeûnes et festins réagit au cycle abondance-pénurie, moisson-disette. La pensée magique propose de la vaincre par des pratiques délibérés de privation, pour forcer les principes surnaturels à envoyer des messages en rêve, des visions et transes, mais aussi la santé, la bonne fortune et la fécondité. Ainsi sous ses formes les plus anciennes, le jeûne est paradoxalement associé à des cultes de fécondité.66

L'enjeu de la démarcation par rapport au judaïsme passe donc essentiellement par la mise en place de rituels67propres comme le déplacement du jour chômé du

IMAGE imgs/meyer01.gif
66H.LECLERCQvº "Jeûnes"Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgieéditions Fernand Cabrol; A. VILLIENvº "Abstinence"Dictionnaire de droit canoniquevolume I,Letouzey et Ané Paris1935pp129-135.
67Nous continuerons d'utiliser des termes comme "rituel" ou "sacré" bien que le christianisme ait préféré les requalifier, en utilisant un vocabulaire qui lui est propre, en "liturgie" et "sainteté".

58