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Le sacrifice sanglantgrec est le premier paradigme qu'il faut étudier pour
comprendre les rapports de la civilisation romano-chrétienne à la question de l'aliment.
En premier lieu, parce que la civilisation grecque constitue un modèle de société où les
gestes rituels fondamentaux, dans la pratique la plus quotidienne, sont de type
sacrificiels. Ensuite, parce que les Grecs sont présents en nous par une histoire continue
depuis les Pères de l'Eglise jusqu'aux sociologues qui s'interrogent sur les rapports
entre la société et le sacré à travers une réflexion centrée sur le phénomène du sacrifice.
La mythologie grecque fonde le rapport des Grecs à l'alimentation sur le mythe
de Prométhée, c'est-à-dire sur un partage des reliefs du sacrifice entre les hommes et les
dieux qui fonde l'ordre alimentaire sur une duperie. La manoeuvre du titan qui habilite
les hommes à se nourrir des parties charnues en amenant Zeus à préférer les os et la
graisse, exclue par là même les hommes de la commensalité avec les dieux.
Jusque là, les deux mondes cohabitaient, c'est à dire qu'ils s'asseyaient à la
même table. Par cette ruse, la partition entre les deux univers est définitivement
consommée, de même que le sort de mortels en est jeté: ils se condamnent eux-mêmes à
dépendre de la viande (tandis que des fumets suffiront aux Dieux) c'est à dire qu'ils
choisissent de s'aliéner à la matérialité.
L'homme est ainsi érigé en moyen terme entre l'animalité et le divin, ce qui
constitue certes un lieu commun de la philosophie, mais le fait important est que cette
dichotomie soit ici fondée sur un choix alimentaire. Plus encore, ce qui apparaît comme
une simple péripétie, puisque relative à un sujet d'apparence aussi trivial que la
nourriture, n'est de plus pas exempt d'effets secondaires.
En réaction à la ruse prométhéenne, la création de la première femme, la
libération des calamités sur l'humanité et le vol du feu, s'ensuivront directement. On
comprend alors mieux la méfiance et le mépris qu'inspirent aux Anciens les appétits
urgents du ventre dont une oeuvre comme l'Odyssée regorge d'exemples 34.
34HOMEREL'OdysséeLa DécouverteParis1992traduction P. JACCOTTET:
"ce chien de ventre est-il rien qui soit plus odieux, sachant toujours se rappeler à vous par force, quand
bien même on serait épuisé ou dans l'affliction" VII, 210
"ce maudit ventre qui leur donne ces soucis..." XV, 344
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