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Les institutions sont alors suspendues le temps de la fête et la transgression
devient la règle, mais il s'agit d'une transgression codifiée qui n'a rien en commun avec
la licence, son but étant de figurer le chaos dionysiaque en respectant la forme que lui
ont prêté les mythes: anthropophagies plus ou moins déréglée, orgies sexuelles,
consommation du totem... La fin de la fête célèbre la mise en ordre définitive de
l'univers, par la simple remise en vigueur des règles quotidiennes17.
Le passage de l'anthropophagie au cannibalisme se niche donc au coeur d'une
mythologie qui, mise en scène par le rituel, fonde les institutions de la société. Parmi
ses institutions, deux d'entre-elles s'imbriquent et structurent les sociétés archaïques en
ordre cannibale.
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§ 2. L'ordre cannibale
Le taboucomme pénalité naturelle; forme l'ossature du système des interdits
qui est mis en scène par les rituels. Le terme tabouest un mot polynésien qui désigne
l'ambivalence du sacré en traduisant la "terreur sacrée"18qu'il inspire. Mais ces
restrictions taboune procèdent pas d'une logique de l'interdit telle que la pensée
contemporaine pourrait la concevoir, car leur essence n'est ni morale, ni religieuse, ni
juridique.
En effet, les prohibitions tabou ne constituent pas un système éthique qui
détermine les interdictions par une raison, la transgression se suffit à elle-même et le
châtiment se déclenche automatiquement, en vertu d'une nécessité interne. Le tabou
violé se venge tout seul car, par simple contact, la force terrible dont il est le siège se
libère et détruit l'imprudent qui n'est pas assez puissant pour la supporter. Le mode de
fonctionnement du tabous'apparente donc plus à celui d'un principe de la physique
que de celui d'une disposition normative.
Cependant cette "action-réflexe" d'autoprotection du sacré induit indirectement
une réaction de protection de la société contre le transgresseur. Son infraction l'ayant
exposé à la force du sacré (le mana), il devient lui-même taboucar au contact de la
sacralité, il s'est chargé d'une part de ce mana qui le retranche de la société de ses
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17"De l'immense littérature consacrée à Dionysos et à son culte orgiaque, retenons que la mise en scène
du grand mélange exige la mise en ordre du lendemain de fête, laquelle confirmera les rôles répartis en
ce qui a été inséré dans les catégories : le sacré et le profane, le vivant et le mort, l'homme et la femme,
le végétal et l'animal, la vie humaine et les autres formes de vie" J-P BAUDLe festin sauvageIbid
18Encyclopaedia BrittanicaWilliam BentonChicago1967vº "Tabu"Tome XXIp598
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