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nécessite un contre-don, le don non-rendu signant l'infériorité de celui qui l'a accepté
sans esprit de retour189.
L'ambiguïté du don est donc, comme la plupart des ambiguïtés, la marque d'un
caractère sacré. En ayant recours à cette notion pour régir le régime du transfert
d'organe, la sacralité inhérente à l'organe n'est ni gérée ni neutralisée, mais
potentialisée, exposée au carré. Et par le don d'organe, c'est l'archaïque institution du
potlatchqui fait irruption au coeur du droit civil.
L'exemple du changement de régime juridique du lait maternel l'illustre bien.
D'une transaction commerciale, le régime de l'échange fut transformé en bénévolat190
au moment où l'origine sociale du réservoir de donneuses s'est modifié. Issues de
classes aisées, la motivation des nouvelles venues n'était plus de gagner un salaire
d'appoint mais de faire oeuvre charitable.
Or la reconnaissance d'un acte de charité ne peut pas s'accommoder d'une
rétribution pécuniaire. Seul le passage par l'imagerie du sacrifice et de l'honneur est à
même de rendre toute la noblesse de l'acte et flatter le sentiment de supériorité du
donneur.
Tandis qu'à l'autre extrémité de la chaîne du don et du sacrifice se situe le
transplanté, sur lequel la tyrannie du don exerce toute sa violence. L'identité du
receveur en est bouleversée en profondeur et des traces indélébiles peuvent en rester,
jusqu'au rejet du greffon et à la mort: "R. Eisendrath a étudié l'histoire personnelle de
onze patients dont la mort est survenue quelques semaines après la transplantation
pour des raisons purement médicales en apparence. (...) Eisendrath fait l'hypothèse
que le rejet du greffon et la mort traduisent l'impossibilité de continuer à vivre à ce
prix. 191"
Il ne s'agit bien évidemment pas de prétendre que l'utilisation de la technique
juridique du don revient à tuer le transplanté, mais simplement que la forme
d'expression du droit n'est pas neutre et qu'elle relève d'une philosophie qu'abstraction
et technicité font oublier.
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