Université
Paris X - NANTERRE
Maîtrise
: Histoire de l'administration
publique
(1er semestre de
l'année 2000-2001) - 3e partie, titre IV, chapitre
1
Chapitre 1
La prison sous l'Ancien
Régime
¶ I - Peines et prison
Lorsque, sous l'Ancien Régime, il est
fait allusion à la prison, il est le plus souvent question du
droit romain. A Rome et dans l'empire romain, existaient des prisons
publiques où l'on attendait l'exécution de la
véritable condamnation, et aussi de nombreuses prisons
privées où le coupable était mis à la
totale disposition de la victime (mise à mort, esclavage,
violences diverses et même sexuelles).
Sous l'Ancien Régime, le principe est que
la prison n'est pas en soi une peine, mais un lieu ou l'on attend une
condamnation ou l'exécution d'une sentence,
généralement corporelle (mort, mutilation,
flagellation, etc.) ou infamante (carcan, expositions diverses,
processions grotesques ou/et douloureuses). Notons cependant une
évolution due tant à l'Etat qu'à
l'Eglise.
- L'Etat
- Connues en France depuis le XIVe
siècle, mais surtout utilisées à partir du
XVIe siècle, les galères mettent côte
à côte des esclaves achetés en pays
musulman ou enlevés en Afrique et en Amérique,
ainsi que des condamnés (principalement des
contrebandiers, des insoumis militaires du fait de la milice de
Louvois et, après la révocation de l'Edit de
Nantes, des Protestants). Les galères, militairement
inadaptées à partir du XVIIe siècle,
avaient surtout pour fin d'affirmer à l'étranger
le prestige du Roi de France. Elles naviguaient très peu
et coûtaient donc trop cher. Sous Louis XV, elles furent
désarmées et les galériens
exécutèrent des travaux forcés dans les
ports de Toulon, Brest et Rochefort (anciens lieux de mouillage
des galères). Ces lieux d'incarcération furent
appelés des "bagnes" par référence
à une prison que les Vénitiens avaient
créée dans un ancien établissement de
bains, il Bagno . A noter que les bagnards (au moins jusqu'au temps
des Misérables de
Victor Hugo) furent longtemps appelés des
galériens.
- Par ailleurs, les tribunaux prirent
l'habitude, à la fin de l'Ancien Régime, de
condamner à des peines de prison (principalement les
enfants, les femmes et les repentis qui, tels ceux de la bande
de Cartouche, avaient livré leur chef), lesquelles
s'exécutaient dans des hôpitaux, donc avec la
participation des autorités religieuses (de nos jours
des congrégations religieuses sont toujours
associées à l'Administration pénitentiaire
dans les prisons pour femmes et en ce qui concerne l'Education
surveillée). A Paris, les grands lieux
d'incarcération étaient, les deux hôpitaux
généraux créés par Louis XIV,
Bicêtre pour les hommes et la Salpêtrière
pour les femmes.
- A noter qu'une prison comme la Bastille
était le symbole de l'absolutisme en ce qu'elle se
situait en marge du cours ordinaire de la justice. Par lettres
de cachet (lettres fermées pour des mesures
individuelles, à distinguer de lettres ouvertes ou
"patentes" destinées à une application collective
après enregistrement par les parlements), par ces
lettres de cachet le roi réglait ses comptes politiques
en enfermant certains adversaires ou gêneur dans les
prisons d'Etat et, surtout, se mettait au service des
règlements de compte familiaux en incarcérant les
mauvais sujets (exemple du marquis de Sade).
- L'Eglise
En Occident, le Christianisme est
très certainement à l'origine de la prison en tant
que peine de droit commun, ce qu'on peut déjà
soupçonner par le vocabulaire (cellule, système
pénitentiaire...). Au départ, il s'agissait d'un
droit pénal canonique concernant uniquement les membres du
clergé, pour lesquels la peine de sang n'était
jamais possible ("L'Eglise a horreur du sang"). En 1246, le
concile de Béziers inventa ce qu'on redécouvrira au
XIXe siècle aux U.S.A., sous le nom de régime
d'Auburn. On ne s'étonnera donc pas que le Christianisme
soit en bonne place dans l'histoire de la science
pénitentiaire. A noter que le plus célèbre
prisonnier ecclésiastique du Moyen Age fut, au XIIIe
siècle, Roger Bacon qui finit ses jours emprisonné
par son ordre franciscain pour le punir de sa trop grande
curiosité scientifique.
¶ II - Les débuts de la science
pénitentiaire
Il faut distinguer ici le Catholicisme du
Protestantisme.
- Catholicisme
- Du fait d'une confusion, qu'on peut juger
détestable et pourtant rigoureusement historique, entre
la pauvreté et la délinquance, les hôpitaux
étaient devenus des lieux d'accueil, non seulement des
miséreux, mais aussi de tous ceux qui vivaient dans une
situation de marginalité, parmi lesquels il fallait
compter certains délinquants et particulièrement
les plus faibles d'entre eux : les femmes et les enfants. Non
seulement, du fait de la rencontre de la charité
chrétienne et de la répression étatique,
les hôpitaux se sont partiellement transformés en
prisons, mais encore, certains établissements
hospitaliers créèrent des annexes qui
étaient de véritables prisons, telle la prison de
la Force (voyez Manon Lescaut de l'Abbé Prévost).
C'est donc pour les femmes et pour les enfants que l'Eglise
catholique, ainsi que les pays où son influence
était forte (en particulier les Etats italiens)
construisirent des prisons destinées à des
laïques. C'est ainsi que le Bénédictin
français Mabillon (1632-1707), ayant visité en la
prison d'enfants que le prêtre Filippo Franci avait
établie à Florence, écrivit en 1690 un
ouvrage de Réflexions sur
les prisons des ordres religieux
, qui fit de lui le grand précurseur de la science
administrative. On y trouvait :
- - Un critique des pratiques de
l'époque : isolement, dureté, absence de
méthode pénitentiaire.
- - Des propositions : promenades,
travail, visites, hygiène.
- - D'extraordinaires anticipations :
individualisation de la peine et régime
progressif.
- - Le plan d'une prison modèle
(l'architecture est indissociable des réformes ou
progrès pénitentiaires).
- Protestantisme
- L'Anglais John Howard était, au
XVIIIe siècle, un riche rentier consacrant ses loisirs
aux voyages et à la philanthropie. A l'annonce du
tremblement de terre de Lisbonne, il s'embarque, pour porter
secours aux Portugais, dans un bateau rempli de tout ce qui
pouvait secourir les sinistrés. Arraisonné par un
corsaire français, il se retrouve
incarcéré au bagne de Brest.
Libéré, il inaugure la tradition des gens riches
ou/et important s'intéressant aux prisons parce qu'ils y
ont eux même fait un stage (on retrouvera cela
après la Révolution et l'Empire, et aussi
après la Collaboration et l'Epuration, sans oublier
l'actuelle montée en puissance du pouvoir des juges). Il
passa le reste de sa vie à visiter prisons et
hôpitaux dans la plupart des pays d'Europe et à
publier, outre son Etat des
prisons en Angleterre et dans le Pays de
Galles , de nombreux autres
ouvrages sur le même sujet. Ses idées majeures
étaient :
- - un régime hygiénique
(air et aliments)
- - un isolement rigoureux, mais avec des
exceptions
- - un personnel spécialisé
(contrôlé par des magistrats)
- - la thérapie par le
travail
- - un rôle très important de
la religion (le chapelain doit avoir un rôle
majeur)
- L'influence d'Howard fut immense dans les
pays protestants, particulièrement dans les futurs
U.S.A., et en particulier dans cette Pennsylvanie que William
Penn avait voulue à la fois un foyer de tolérance
religieuse et un laboratoire d'idées nouvelles. La
Pennsylvanie fut ainsi le premier pays à retenir la
prison comme peine de droit commun. Benjamin Franklin fut l'un
de ses disciples et c'est sous son influence que se
créa, à la fin du XVIIIe siècle, une
"Société de Philadelphie pour le soulagement des
misères des prisons publiques", société
qui décida, en 1797, la création, à
Philadelphie, de la première prison cellulaire
moderne.
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