Université
Paris X - NANTERRE
Maîtrise
: Histoire de l'administration
publique
(1er semestre de
l'année 2000-2001) - 3e partie, titre II, chapitre
2
Chapitre 2
Le sport et
l'armée
¶ I - Sport et violence dans
l'Antiquité
L'histoire des sports en occident est intimement
liée à la chasse, la guerre et plus
généralement à la mort. On voit d'emblée
que l'histoire est ici la plus parfaite expression du politiquement
incorrect : aujourd'hui, le discours officiel fait du sport
l'exaltation de la vie et il est particulièrement inconvenant
de rappeler que sa plus parfaite expression fut le film
Les Dieux du stade de Leni Riefenstahl, cinéaste officielle des
grandes mises en scène du Nazisme.
Les sports occidentaux sont nés dans
l'île de Crète vers le XVe siècle avant
J.-C. Les Crétois pratiquaient alors la course à pied,
le pancrace et, particulièrement, les combats contre les
taureaux. Les voltigeurs crétois, effectuaient des sauts
périlleux au dessus des cornes des taureaux sauvages : telle
est l'origine de toutes les formes modernes du combat taurin (les
courses landaises et camarguaises sont les plus proches de la
tauromachie antique).
Selon tradition, des Crétois, qui fuyaient
certaines invasions de leur île, importèrent ces jeux
dans le Péloponnèse. Le Grecs n'accueillirent pas la
tauromachie. En revanche, bien que prônant par la suite la
doctrine de la trêve olympique, ils établirent
clairement un lien originel entre le sport, la guerre et la mort au
combat. C'est en effet dans le chant XXIII de L'Iliade que le Grecs
font pour la première fois allusion à des
compétitions sportives, en l'occurrence les jeux qui furent
organisés à l'occasion des funérailles de
Patrocle, l'ami d'Achille : courses de char, pugilats, pancrace,
course à pied, escrime, lancer de disque et tir à
l'arc.
Quand on ne considère pas son versant
chrétien qui, lui, est en grande partie fondé sur la
mystique du sacrifice corporel, la civilisation occidentale, telle
qu'elle s'exprime dans le droit romain, est fondée sur la
censure de la violence, du corps, de la vie et de la mort. Seul le
droit pénal y fut longtemps le siège d'une
cruauté censurée ailleurs et c'est pour cette raison
que le mot civilisation désignait à l'origine le fait
de sortir du droit pénal pour entrer dans le droit
civil.
Rappelant en outre que le mot persona désignait
à l'origine le masque, puis le personnage de
théâtre, on peut considérer la vie juridique
comme une mise en scène du théâtre de la
civilité, censurant ce qu'Antonin Artaud appelait le
théâtre de la cruauté.
Or la cruauté (qui désigne aussi ce
qui est cru ou naturel) et la violence de l'homme (le seul
prédateur qui détruise son espèce) ne peuvent
être exclues de la vie civique que si elles sont vécues
en tant que spectacle. Qu'on le veuille ou non, l'histoire
occidentale nous a montré la nécessité de mettre
en scène la violence lorsqu'on l'interdisait dans la
réalité quotidienne. La trêve olympique, en
arrêtant la guerre au moment de l'affrontement sportif,
démontrait que celle-là pouvait remplacer
celui-ci.
L'opposition des extrêmes ne doit pas faire
oublier l'identité de leur nature. Qu'il s'agisse de
l'athlétisme ou des combats de gladiateurs, il s'agit toujours
de violence. Même le spectacle de l'effort solitaire (bien que
quasiment inexistant dans le spectacle sportif) est la mise en
scène d'une violence contre soi. Entre la course à pied
et le combat de gladiateurs, où passe la frontière
indiquant qu'on quitte le sport pour entrer dans le combat meurtrier?
Avec la corrida? Les sports de combat? Où lorsqu'on le sportif
accepte de sacrifier sa santé, et donc des années de sa
vie, à la performance et la victoire sur l'autre ? A propos de
la difficulté de distinguer le sport du combat meurtrier,
signalons qu'au début du XXe siècle la presse
spécialisée commentait en termes sportifs les duels et
l'entraînement qu'ils exigeaient.
Il n'est donc pas inconvenant de réunir ici
les deux grandes mises en scène de la violence de
l'Antiquité : les jeux olympiques et les jeux du
cirque.
§ 1 - Les jeux olympiques
- On fait en général
débuter l'histoire du sport en Occident par celle de
l'Olympisme grec. C'est oublier le lien originel, dans tous les
peuples, entre le sport d'une part, la guerre et la chasse,
d'autre part. D'emblée le sport se perçoit dans son
lien avec la violence. Signalons aussi le témoignage des
grecs nous signalant, bien avant l'Olympisme, l'existence en
Crète de jeux, à la fois sportifs et religieux,
consistant à sauter au dessus d'un taureau (à
l'origine des diverses formes de tauromachie). Ils signalaient
aussi l'existence de compétitions sportives chez "les
peuples du Nord". Nous savons maintenant qu'il s'agissait, entre
autres, des Celtes (notamment en Irlande) et peut-être des
Vikings. Nous avons même l'indication précise de
l'origine de certaines épreuves athlétiques
inconnues de l'Olympisme grec (saut en hauteur et lancer du
marteau).
- A l'origine des jeux olympiques grecs nous
trouvons la rencontre, au moins depuis le VIIIe siècle av.
J.-C., entre les exercices militaires et le culte religieux.
L'origine militaire du sport grec est parfaitement
illustrée par l'oeuvre d'Homère qui fut, aussi, la
première exaltation littéraire de l'exploit sportif
(Achille, le coureur au pied léger, Ulysse, dont le javelot
était plus rapide que la flèche, etc.). Mais,
annoncé déjà par les exploits d'Hercule, le
lien entre le sport et la religion est à l'origine directe
des jeux olympiques. Les jeux les plus importants étaient
toujours organisés en l'honneur d'un dieu (par exemple
Apollon à Delphes) et c'est parce qu'ils étaient
dédiés à Zeus (Jupiter pour le Romains) que
les jeux d'Olympie l'emportèrent sur les autres.
- A partir du Ve siècle, les sports sont
un élément important de l'éducation.
Athènes les réserve aux hommes, mais les femmes de
Spartes sont célèbres dans toute la Grèce
pour leurs qualités sportives. Platon, dont le nom signifie
"le bien bâti" et qui fut célèbre pour ses
victoires olympiques avant de l'être en tant que philosophe,
plaida (après Xénophon) pour que les sports soient
accessibles à toutes les femmes de Grèce. En fait la
position d'Athènes l'emporta et les jeux olympiques furent
réservés aux femmes : on raconte que c'est pour
prouver leur masculinité que les athlètes devaient
concourir nus.
- Deux raisons expliquent, à partir du
IIIe siècle av. J.-C., le déclin des jeux
olympiques. On se rendit compte, d'abord, que l'exaltation des
valeurs individuelles avait cédé la place au
chauvinisme des cités : l'idéal olympique masquait
mal les intérêts politiques. Surtout, et par voie de
conséquences, le professionnalisme s'installa et
l'athlète apparut dès lors, soit sous l'aspect d'un
sportif inculte avide d'argent et de plaisirs exclusivement
physiques, soit sous celui de l'homme usé, souvent infirme
s'il avait été pugiliste (boxeur), et finissant
misérablement ses jours.
- Au IIe siècle av. J.-C., la
conquête romaine accéléra leur déclin.
Les Romains considéraient l'athlétisme comme
insuffisamment viril en comparaison des combats de gladiateurs.
Finalement, l'empereur Théodose Ier, celui-là
même qui avait fait du Christianisme une religion d'Etat,
convaincu par saint Ambroise de l'origine païenne de ces
manifestations sportive, abolit les jeux Olympiques.
§ 2 - Les jeux du cirque
Signalons d'abord que le cirque est en principe un
espace suffisamment grand pour qu'une course de chevaux puisse s'y
dérouler et que les combats de gladiateurs avaient lieu, de
préférence, dans des amphithéâtres. Ceci
dit, nous entendons généralement par les jeux du cirque
des spectacles violents dominés par des combats de
gladiateurs, entre eux ou avec des fauves. Sachons cependant que,
pendant l'importante période de l'année que les Romains
consacraient aux jeux (4 mois en moyenne),il y avait plus de courses
que de combats.
La violence était dans l'arène et sur les gradins.
A - Violence dans l'arène
- Plus encore que les jeux olympiques, les
combats de gladiateurs sont le produit d'une rencontre entre la
guerre et la religion. A l'origine le gladiateur est un
combattant, mais un combattant qui s'offre ou est offert en
sacrifice à l'occasion de l'ensevelissement d'un
notable.
- Au cours du IIe siècle av. J.-C., la
pratique eut une importance telle que les combats de gladiateurs
dépassèrent le cadre familial pour devenir des
spectacles publics.
- On rapporte qu'en 164 av. J.-C., le public
déserta une représentation théâtrale de
Térence parce qu'on venait d'annoncer un combat : le
théâtre romain amorçait son déclin. Au
début siècle suivant les combats de gladiateurs
furent organisés dans le cadre du culte officiel : ainsi
des spectacles officiellement publics s'ajoutèrent à
ceux que les particuliers offraient à la population. Compte
tenu de l'engouement du public et de l'importance des frais, les
notables et les ambitieux virent que c'était un excellent
moyen de se faire connaître en tant
qu'évergète (bienfaiteur public). Par la suite, les
empereurs, soucieux d'apparaître, dans ce domaine aussi,
comme les grands évergètes, tentèrent
d'accorder la priorité aux combats qu'il organisaient.
- Les organisateurs de combats s'adressait
à un entrepreneur qui leur fournissaient des combattants
(très méprisé, en tant que marchand de chair
quand il ne faisait que cela). Les gladiateurs pouvaient
être des criminels condamnés à mort (il
s'agissait alors plus d'une exécution que d'un combat), des
hommes condamnés, non pas à mort mais à
être gladiateur (ceux-ci pouvaient espérer une remise
de peine à la suite de nombreuses victoires), des esclaves
(cas le plus fréquent), des hommes libres qui s'engageaient
volontairement dans la profession (statut proche de l'esclavage),
enfin des hommes libres s'engageant pour un seul combat (pour la
famille, prime 50 fois plus élevée s'ils
mouraient).
B - Violence sur les gradins
- Qu'il s'agisse de combats de gladiateurs ou de
courses de chevaux la violence était aussi sur les
gradins.
- Avec les grandes manifestations sportives du
XXe siècle, nous avons redécouvert la violence des
spectateurs, mais seule l'observation du cirque antique permet
d'en comprendre la nature.
- Dans le système romain, le peuple et
particulièrement la population de la capitale, celle qui,
juridiquement, incarne au mieux la civilisation, cette même
population peut se comporter dans le cirque comme une horde
sauvage. Le système institutionnel romain a prévu,
dans le cirque, un théâtre de la cruauté
où la population peut cesser de jouer le rôle
écrit pour chacun dans le théâtre de la
civilité.
- La chose concernait au plus haut point le
pouvoir impérial. Pour les administrateurs des provinces,
mais surtout pour l'Empereur dans la capitale, le cirque est le
lieu où l'on s'imposait en tant que chef primitif. Un jour
les spectateurs manifestèrent violemment leur
hostilité à l'Empereur parce qu'il lisait du
courrier administratif. Que signifie l'anecdote? Que, dans le
cirque, les spectateurs n'attendent pas de l'Empereur qu'il se
comporte en administrateur, en "loi vivante" selon l'expression du
droit romain reprise par les pouvoirs occidentaux. Dans le cirque,
l'Empereur doit être le mâle dominant d'une horde.
L'Empereur doit se montrer capable, par l'attitude, le geste et la
parole, de dominer la foule, de la dompter.
- En 532, Justinien, défendant une
équipe de cavaliers, commit la maladresse de provoquer la
foule et de ne pas savoir s'imposer à elle. De chahut dans
le cirque, l'hostilité devint révolte dans la rue.
Assiégé dans son palais, il dut à la force de
caractère de son épouse Théodora de ne pas
fuir misérablement. Cet homme, intellectuellement
supérieur, n'était pas un bon chef de horde
primitive. Si, à ce moment-là, la révolte
l'avait emporté, nous n'aurions pas eu les Compilations de
Justinien et nous aurions certainement, aujourd'hui, une histoire
du droit, mais pas celle-là.
¶ II - Sport et violence depuis le XIXe
siècle
Il convient de faire ici la distinction entre
l'utopie pacifiste du mouvement
olympique et le
pragmatisme de l'armée.
§ 1 - L'utopie pacifiste du mouvement
olympique
- Sous l'Ancien Régime français,
le lien entre les sports et la violence était sans
ambiguïté. En ce qui concerne le liens entre le sport
et la guerre proprement dite, le lien était évident
pour le tournoi, l'équitation, l'escrime (sports
aristocratiques) et aussi pour le tir, essentiellement à
l'arc et à l'arbalète (sports populaires). Les
règlements de compte entre individus expliquaient aussi
l'escrime dans l'aristocratie, ainsi que le sport dit "de la
canne" (escrime au bâton) et, pour les roturiers, la lutte
(il y avait des variantes locales comme la lutte bretonne), ainsi
que les antiques pugilat ou pancrace, qui deviendront, à
notre époque, la boxe anglaise et la boxe française
(ou savate) : avant que bourgeois et aristocrates n'entreprennent,
à partir du XVIIIe siècle d'annoblir ces sports
(pour pouvoir se défendre sans tomber sous le coup d'une
condamnation pour légitime défense
disproportionnée) ces sports étaient
réservés à ceux qui n'avaient pas le
privilège de porter des armes, d'où l'expression
"jeux de mains, jeux de vilains". Quant aux traditionnelles
rivalités entre les villages, les actuels derbys sportifs
étaient remplacés par les quasi-obligatoires
bagarres lors des fêtes populaires (elles n'ont pas tout
à fait disparu) et l'ancêtre à la fois du
rugby et du football, la soule (amener une grosse balle, la soule,
du parvis de l'église d'une paroisse à celui de
l'église d'une autre paroisse) : tous les coups
étant permis, il y avait toujours des blessés graves
et souvent des morts.
- Le jeu de paume est à mettre à
part. Il fut fort pratiqué en France jusqu'au XVIIe
siècle (moment où les Français vont quasiment
abandonner la pratique du sport) avant d'être
développé en Angleterre (qui, elle, n'a pas connu
cette rupture sportive). C'est là qu'il fut appelé
le tennis (du français "tenez!"). On peu dire que ce fut le
seul premier sport "civilisé", en ce qu'il se
déroule comme une procédure judiciaire : observez un
match de tennis et vous comprenez la procédure judiciaire
anglaise.
- Le mouvement olympique naquit en France, dans
les années 1890, mais dans le prolongement de
l'importation, à partir des années 1880, des "sports
anglais", à savoir l'athlétisme, les jeux de ballon
(autres que le hand-ball qui, d'origine allemande, ne doit pas
être prononcé à l'anglaise), ainsi que les
jeux de raquette (évidemment autres que la pelote basque!).
Puisqu'il s'agit ici de relativiser l'idéal pacifique
affiché par Coubertin, signalons dans quel contexte de
lutte sociale de développèrent, au XIX
siècle, les sports anglais.
Extrait de L'Affaire de la main volée :
La pratique du sport
contribuera à améliorer la condition physique des
catégories sociales aisées, et donc à augmenter
l'inégalité sanitaire entre celles-ci et le monde du
travail manuel. On ne peut pas dire que la jeunesse aisée, qui
devint dans les années 1880-1890 une jeunesse sportive, ait,
en règle générale, compris qu'elle marquait
ainsi des points dans la confrontation physique des classes. En
revanche, il est évident que, après s'être fait
initier à la violence populaire, elle a reçu les
nouveaux sports comme le privilège de ceux qui pratiquaient
l'amateurisme, concept qui, au départ, excluait radicalement
le monde des travailleurs salariés.
Les nouveaux sports allongeaient
l'espérance de vie de ceux qui désiraient
vivre ensemble, entre
amateurs.
C'est dans les années 1880, lorsque se
développèrent en France les « sports
anglais » (athlétisme, rugby, football, etc.) que
l'on commença à faire grand cas de l'amateurisme. Dans
ces milieux élégants où se distinguait en
particulier le baron de Coubertin, restaurateur des jeux olympiques,
on se disait alors « amateur de sport » comme
l'on pouvait être « amateur d'art ».
Appartenir à un milieu d'amateurs signifiait qu'on
était entre gens pouvant s'offrir le sport comme un loisir
distingué.
Vouloir rester entre amateurs indiquait aussi
qu'on désirait éviter de fréquenter ceux que
leur pauvreté conduirait, quasi inéluctablement,
à tenter de tirer un profit pécuniaire de leurs
qualités athlétiques. Dans les statuts des clubs
sportifs de la fin du XIXe siècle, on rencontrait souvent
l'exclusion, comme n'étant pas de véritables
professionnels, de ceux qui appartenaient à des professions
manuelles, voire de ceux qui avaient déjà
participé à des réunions sportives où
l'on acceptait n'importe qui.
Le corps laborieux, qui, juridiquement,
était pris en considération en marge du droit civil,
était aussi rejeté hors de l'amateurisme parce qu'il
était vénal avant même de prétendre
accéder au sport. Le travailleur manuel ne pouvait être
un amateur parce que, dans le cadre de son travail, il utilisait la
force de son corps pour gagner sa vie.
- Censurant la guerre sociale, l'Olympisme du
baron de Coubertin prétendait restaurer la trêve
olympique en créant un internationalisme du sport.
Retenons, à ce propos, l'opinion d'un expert en
nationalisme, Charles Maurras assistant, à Athènes
en 1896, au premiers jeux olympiques : "Cet
internationalisme-là ne tuera pas les patries, mais les
fortifiera". Aujourd'hui nous avons un bien curieux
internationalisme où les vainqueurs se drapent dans leur
drapeau national. En ce domaine, le tournant essentiel se situe
avec les jeux olympiques de Berlin, en 1936. Ce furent les
premiers jeux télévisés et mondialement
diffusés par le cinéma. Faisant en outre le lien
avec les cultes les plus primitifs, les nazis qui
organisèrent les jeux de Berlin inventèrent la
flamme olympique, transportée depuis Olympie à la
suite d'une pseudo-cérémonie antique dont le
grotesque dépasse les pires films de péplum.
Malgré tout, la flamme olympique a survécu parce
qu'elle n'est pas un message rationnel. Elle parle à
l'inconscient, là où le pire peut se préparer
: ce n'est pas par hasard que les jeux olympiques (à
l'instar des autres championnats mondiaux, qui ajoutent souvent la
sauvagerie des hordes de supporters) sont devenus le lieu
privilégié des attentats de tous genres et qu'ils ne
sont désormais concevables qu'au prix d'un immense
déploiement de forces de sécurité. C'est ce
qu'on appelle la trêve olympique.
- Ajoutons une précision concernant les
nouvelles disciplines athlétiques. Le saut en hauteur et le
saut à la perche étaient, ainsi que le lancer du
marteau, inconnus des Grecs. Il s'agit là, d'exercices
militaires pratiqués dans les pays nordiques et chez les
Celtes des îles anglo-saxonnes : entraînement à
sauter les palissades et jets d'essieux de char pour les
détruire.
§ 2 - Le pragmatisme de
l'armée
- Face aux naïvetés de l'Olympisme,
l'armée a toujours affiché sa franchise : principale
titulaire de l'homicide légal, elle a toujours inscrit le
sport dans l'art de tuer sans se faire tuer.
- C'est sous l'Empire que l'armée
française s'intéressa particulièrement
à la gymnastique, d'abord parce que Napoléon avait
imposé des exercices à sa Garde impériale,
mais surtout parce que, à la suite de la campagne
d'Espagne, un Espagnol nommé Amoros suivit les troupes
françaises et fit carrière comme instructeur de
gymnastique de l'armée française. C'est alors que la
gymnastique s'établit solidement dans la formation
militaire, que l'on créa à Joinville, sous le Second
Empire (1853), une école spécialisée, et que
les gymnastes militaires créèrent des
sociétés civiles de gymnastiques (d'où la
traditionnelle attitude militaire des gymnastes).
- Outre la gymnastique, les sports de combat et
de tir, qui bénéficièrent évidemment
d'un traitement privilégié, l'armée s'est
intéressée, très prosaïquement à
tous les sports qui pouvaient présenter une importance
tactique. C'est ainsi que s'est posée la question de la
militarisation de la bicyclette. Lorsqu'elle devint enfin
utilisable dans le quotidien (milieu des années 1880), la
question se posa de son utilisation pour déplacer des
fantassins qui, en 1870, n'avaient pu être
déplacés, et difficilement, que par le chemin de
fer. Il fallut attendre la Première Guerre mondiale (taxis
de la Marne) pour que s'impose comme une évidence le
transport des fantassins dans des véhicules
automobiles.
- Dans la dernière décennie du
XIXe siècle, on put croire que l'armée
française donnait quelque importance à la
bicyclette, entre autres grâce à l'action du
capitaine Gérard (inventeur de la bicyclette pliable).
Pourtant, le vélo eut son rôle dans les guerre
modernes : bicyclettes pliables des parachutistes anglais lors du
débarquement en Normandie et, surtout, rôle
déterminant des vélos vietnamiens qui, transportant
vivres, munitions, et même armes, causèrent la
défaite française à Diên Biên
Phu. A noter que l'armée suisse a toujours
possédé un vélo militaire. L'ancien
modèle a été
remplacé, dans les années 1980, par un V.T.T.
d'apparence moins pittoresque.
- Pour l'essentiel, l'armée
française resta dans la tradition : le tir, la gymnastique
(sans oublier la marche) furent les principaux sports de
l'armée. Avec la tendance à la
généralisation de l'obligation militaire de la
période de la Revanche, l'administration entreprit de
développer ces sports dans la jeunesse. C'est pourquoi un
décret de 1882 créa les Bataillons scolaires,
c'est-à-dire des établissement scolaires
militarisés, accueillant des enfants à partir de
l'âge de 12 ans. Chaque établissement avait son
drapeau, les enfants défilaient au pas et des instructeurs
militaires les initiaient à la discipline de base, à
la gymnastique et au tir (attribution à chaque enfant d'un
"fusil scolaire" et de 30 cartouches par an). Les Bataillons
scolaires furent supprimés en 1892 parce qu'on
considérait comme inefficace une formation trop
éloignée de l'âge de la conscription. Pour les
remplacer, l'armée encouragea la création de
sociétés de préparation militaire donnant une
formation à la fois physique et morale. Cette formation fut
sanctionnée à partir de 1903 par l'attribution d'un
"brevet de préparation militaire" doté d'avantages
qui ne furent pas jugés négligeables (jours de
permission, accès prioritaire au peloton des
élèves-caporaux) et qui expliquent la subite
multiplication de ces sociétés (2000 en 1905, 6000
en 1913). Après la Guerre de 1914-1918, une
préparation militaire supérieure fut
créée afin de permettre aux recrues les plus
douées d'accéder aux grades d'officiers de
réserve.
- Constatant le lien qui a si fortement uni
à l'armée le développement des sports, on ne
s'étonnera pas que la première structure
gouvernementale qui ait pris en charge les sports (le haut
commissariat à l'Education physique, en 1921) ait
été rattaché au ministère de la
Guerre. Puis les sports furent rattaché, en 1932, à
l'Education nationale ; enfin les sports furent pris en compte par
un ministère propre à partir de 1966
(création du ministère de la Jeunesse et des sports
pour l'alpiniste Maurice Herzog).
- Notons que, parmi les sports modernes,
certains un conservé un caractère militaire fort
marqué : le tir et, plus encore, le biathlon nordique (tir
et ski de fond) directement issu des exercices militaires des pays
scandinaves. N'oublions pas non plus le lien entre l'armée
et les mouvements de jeunesse : le scoutisme fut fondé par
Baden-Powell, un officier dans l'armée des Indes, qui
combattit aussi en Afrique du Sud, et qui inaugura en 1907 ( camp
de Brownsea, près de l'île de Wright) un mode de
formation de la jeunesse directement inspiré par les
principes qu'il avait publié en 1899 au sujet de la
formation des éclaireurs militaires (Aids of Scouting).
Plan du
cours