Université Paris X - NANTERRE

Maîtrise : Histoire de l'administration publique

(1er semestre de l'année 2000-2001) - 2e partie, titre II, chapitre 2


Chapitre 2

L'hôpital

 

 

 

¶ I - L'hôpital, établissement de bienfaisance

 

 

A l'origine, l'hôpital est sans rapport direct avec la santé, mais en relation directe avec la charité chrétienne. Le principe étant que tout établissement et toute fonction ecclésiastique devait consacrer le quart de ses revenus aux pauvres. Avant l'urbanisation du XIIe siècle, les monastères inscrivaient leurs pauvres sur un registre une (matricule) et les pauvres "immatriculés" venaient recevoir régulièrement leurs secours.

 

§1 - L'hôpital au Moyen Age

  • Deux facteurs expliquent l'apparition de l'hôpital : les voyages et les villes.
    • A la fin du XIe siècle, l'Occident bouge, du fait du commerce, des Croisades et des pèlerinages. Ce fut la grande période d'ordres religieux (en fait connus depuis le VIIIe siècle) constructeurs d'établissements accueillant les voyageurs, et aussi guerriers et affairistes. Ce furent les ordres hospitaliers , dont les plus célèbres furent l'Ordre du Temple et les Chevaliers Teutoniques et dont l'ambiguïté s'illustre dans le fait qu'ils furent à la fois à l'origine des congrégations hospitalières soignantes et des armées permanentes. On comprend ainsi que l'extermination de l'Ordre du Temple par Philippe le Bel (l'un des plus grands rois de France, entre autres pour avoir établi l'indépendance du pouvoir laïc contre le totalitarisme de Rome) ne fut pas un caprice de despote.

    • C'est dans ces circonstances qu'apparurent sur les grandes routes des établissements appelés hôpitaux ou hospices (malgré la volonté tardive de réserver le premier titre aux établissements de soins, les deux termes restèrent en pratique des synonymes), et dont la vocation première était l'hébergement et la restauration des voyageurs qui, en temps ordinaire, n'étaient pas dans le besoin. L'actuel hospice du Grand Saint Bernard est l'héritier de cette antique optique hospitalière.
    • Un homme affamé et sans toit devient vite malade. C'est donc très naturellement que les ordres hospitaliers devinrent des ordres soignants et, en tenant compte de la traditionnelle vocation thérapeutique de la femme, féminins. Les premiers ordres hospitaliers perdirent leur contact avec l'hospitalité, les nouveaux, essentiellement d'accueil, furent (à l'exception de l'ordre de Saint Jean de Dieu) féminins et soignants.
    • En outre, l'urbanisation concentra nécessairement les pauvres dans les villes. C'est ainsi que la majorité des hôpitaux cessèrent d'être principalement des lieux d'hospitalité (avec cette séquelle jusqu'au XIXe siècle de l'existence de chambres pour voyageurs) pour devenir des lieux d'accueil de la misère et de soutien aux faibles (orphelins, femmes et enfants abandonnés, vieillards). De plus en plus, le traitement de la maladie fut lié au soulagement de la pauvreté, d'abord parce qu'on ne meurt pas de faim mais par une maladie causée par la faim, ensuite parce que seuls les malades pauvres se faisaient admettre par les hôpitaux. La charité chrétienne étant l'élément dominant, l'admission se faisait par la chapelle, avec la confession et d'autres cérémonies et sacrement. Ensuite, les soins du corps relevaient de la qualification obtenue au sein des ordres religieux et aussi à la collaboration de quelques chirurgiens : jusqu'au XVIIIe siècle, la médecine, censée résider dans la faculté de médecine, resta étrangère au monde hospitalier.
  • Le problème essentiel était celui de la subsistance matérielle. La charité ecclésiastique était renforcée par la charité des fidèles. De nombreux dons et legs enrichirent les hôpitaux. Ceux-ci, en tant qu'établissements ecclésiastiques, disposaient ainsi de biens considérables formant ce qu'on appelait un bénéfice, ce qui ne signifiait pas des revenus mais un capital (du latin beneficium : le cadeau ou bienfait). Un prince pouvait même s'offrir le luxe de fonder un hôpital ; c'est ce que fit Saint Louis en créant l'Hôpital des 15-20 pour les aveugles (hôpital des 15 fois 20 lits : donc de 300 places). On voit ainsi se définir le lit (meuble + entretien du résident, malade ou non) comme unité de compte de la gestion hospitalière. C'est ainsi que débuta la fondation de lit, composée d'un achat de mobilier et d'une rente pour entretenir celui qui occupe le lit, technique qui fut utilisée tant par la charité privée que pour l'ébauche d'un système d'assurances sociales (fondations de lits par les corporations pour les malades de la profession). Malheureusement, les effets pervers de l'ensemble du système bénéficial affectèrent aussi les hôpitaux : les titulaires des bénéfices accaparèrent souvent les revenus et laissèrent les établissements dans le dénuement.
  • Signalons le cas particulier des léproseries. Bien qu'ayant été créées pour héberger les individus porteurs d'une pathologie particulière, les léproseries (dites aussi maladreries ou maladrières, termes étant à l'origine de nombreux toponymes d'aujourd'hui) ne furent pas des établissements de soins, mais des lieux de réclusion des malades. D'ailleurs, l'entrée en léproserie était considérée comme une espèce de mort. En de nombreux lieux, elle s'accompagnait d'une cérémonie funéraire et d'une ouverture de la succession. La lèpre, qui survivra ensuite comme une curiosité médicale en Occident, cessa d'être digne de figurer dans les statistiques de la morbidité européenne après le XVe siècle. Tout indique que la population des lépreux fut exterminée en Europe par la Peste noire du XIVe siècle, laquelle, détruisant entre la moitié et les deux tiers de la population européenne, fut particulièrement exterminatrice dans les léproseries.

 

§ 2 - L'hôpital, du XVIe siècle à la Révolution

     
  • Au sortir du Moyen Age, la situation n'était guère brillante. Les circonstances économiques, militaires et aussi les erreurs et abus administratifs avaient ruiné les hôpitaux ; il arrivait réellement qu'on y meure de faim. En outre le recrutement du personnel hospitalier s'était considérablement dégradé, tant sous l'angle des compétences que sous celui de la moralité.
  • On comprend alors pourquoi les autorités laïques de divers pays, et particulièrement en France de l'administration royale, durent intervenir. Le Grand aumônier du roi qui, jusqu'au XVIe siècle, administrait les hôpitaux créés par le prince, obtint un droit de regard - nous dirions aujourd'hui une tutelle administrative - sur l'ensemble des hôpitaux du royaume. Un autre pas vers une gestion hospitalière relevant de l'administration publique fut le fait que, à partir de 1543, la gestion épiscopale fut remplacée par celle d'officiers royaux.
  • L'emprise étatique explique d'abord que les hôpitaux aient été systématiquement utilisés, notamment avec la création, au XVIIe siècle par Louis XIV, des hôpitaux généraux (à Paris La Salpêtrière pour les femmes et Bicêtre pour les hommes), aient été utilisés, disions-nous, comme des lieux d'enfermement des asociaux. Il semblerait que le même Louis XIV, en créant l'hôpital Sainte Anne et l'hôpital Saint Louis, destinés aux pestiférés, ait parallèlement inauguré une politique hospitalière orientée vers la distribution de soins. En fait, il s'agissait surtout, comme pour les anciennes léproseries et les nouveaux asiles de fous, de lieux de réclusion de certaines catégories de malades : les pestiférés qui survivaient après avoir refusé d'être hospitalisés faisaient l'objet de poursuites pénales.
  • A la veille de la Révolution, l'image première qu'évoquait l'hôpital n'était certainement pas celle d'un centre de soins. Sur 105 000 hospitalisés, on ne comptait en France que 25 000 malades ; on devrait d'ailleurs dire des pauvres qui étaient en outre malades; On y comptait en outre 40 000 enfants trouvés et autant de vieillards sans ressources.
    Notons que l'importance de la richesse de certains particuliers pouvait encore permettre à des individus, au XVIIIe siècle, de fonder un hôpital : Necker (célèbre financier et homme politique), Beaujon (fermier général), Cochin (riche curé).

 

 

 

¶ II - L'hôpital, établissement de soins

 

 

Entre la fin du XVIIIe et le XXe siècle, l'hôpital est devenu un centre de soins. Mieux, c'est le lieu où, généralement, on naît et on meurt, avec entre temps des séjours destinés à rétablir la santé. Quatre conditions ont été nécessaires : nationalisation, laïcisation, choix architectural, médicalisation.

§ 1 - Nationalisation

  • En 1793 et 1794, les hôpitaux et leurs biens ont été nationalisés par la Convention qui, les voyant toujours comme des établissements de bienfaisance, pensait qu'ils ne seraient plus nécessaires lorsque les réformes redistribuant la propriété (biens nationaux, régime successoral) mettraient fin au paupérisme. En 1794, les trois quarts des biens hospitaliers furent vendus pour financer l'effort de guerre. On mourut à nouveau de faim dans certains hôpitaux.

    En ce qui concerne l'administration hospitalière, le principe fut établi par le Directoire (loi du 7 octobre 1796) qu'elle s'effectuerait sous le contrôle d'une commission municipale (appelée conseil d'administration depuis 1970).
  • Avec le Consulat et l'Empire, les hôpitaux retrouvèrent les biens qui n'avaient pas été vendus. Les ressources publiques étant insuffisantes pour compléter leur financement, le Consulat restaura le vieux système de la charité publique organisée sous forme de fondations de lit : 500 francs par an pour un malade, 400 francs pour un incurable. Le système put vivre jusqu'à la Première guerre mondiale. Il ne put survivre à l'inflation qui suivit. D'ailleurs, du fait de l'accroissement du budget de l'Etat et des collectivités locales, et avec l'annonce d'un système d'assurances sociales (devenu la Sécurité sociale), la question du financement des hôpitaux se posait en des termes tout à fait nouveaux, ceux de l'actuel financement de la santé publique.

§ 2 - Laïcisation

(Il s'agit de la question des congrégations soignantes, étudiée précédemment en envisageant le rôle de l'administration ecclésiastique en ce qui concerne la promotion de la femme)

 

§ 3 - Choix architectural

  • A la différence des hôpitaux arabes dont l'architecture eut toujours une finalité thérapeutique et même scientifique, les choix architecturaux chrétiens furent à l'origine d'inspiration religieuse : la chapelle était à l'origine l'élément principal.
  • Au XIXe siècle, l'architecture hospitalière est généralement remise en cause. Fondé sur d'immenses salles communes, ayant une chapelle comme centre, l'ensemble architectural composant la plupart des hôpitaux n'est plus adapté à l'urbanisme des villes de l'Ere industrielle. Inquiets par des "miasmes" dont on ne connaîtra la nature qu'avec l'époque pasteurienne, les hôpitaux passent pour des lieux maudits qu'on assimile à des établissements insalubres. Lorsque, au tournant du XIXe et du XXe siècle, on transférera les tuberculeux dans des sanatoriums (le pluriel latin sanatoria est désormais obsolète), les grandes villes furent soulagées, mais les stations climatiques s'insurgèrent contre cet envahissement morbide. Dans certaines villes on imposa aux hôpitaux l'installation d'appareils qui filtraient l'air sortant des établissements.
    Le fait était que la mortalité des malades dans les hôpitaux était sans rapport avec celle des malades pouvant se soigner chez eux, ou en pension chez un médecin (origine de la clinique privée). D'où cette question : quelle peut être l'architecture permettant d'accueillir dans de bonnes conditions sanitaires un grand nombre de malades?
  • Des recherches inédites de Françoise Guilbert (qui m'en a généreusement communiqué les résultats) démontrent l'importance, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, de l'hospitalisation de campagne dans les guerres modernes. Dans la période-charnière des années 1850-1860, ces premières guerres modernes que furent la Guerre de Crimée et, surtout, la Guerre de sécession, démontrèrent la faible mortalité dans les hôpitaux de campagne. On attribua cette supériorité sanitaire au grand air et à la fragmentation de la population hospitalisée en un grand nombre d'unités de logement.
    C'est ainsi qu'on vit en France des expériences consistant à héberger dans de petits baraquements installés dans les cours intérieures des hôpitaux. Telle fut l'origine de l'architecture pavillonnaire du début du XXe siècle (un pavillon par catégorie d'affection).
  • Cette excellente solution s'avéra fort onéreuse. On opta alors, au milieu du siècle, pour une architecture en blocs inscrits dans de grands ensembles, avec des services communs pour l'ensemble des blocs. C'est toujours le choix retenu pour ces grands ensembles produits par la moderne architecture hospitalière.

 

§ 4 - Médicalisation

  • Justifiée par la clinique, dans son sens premier (l'enseignement de la médecine au lit du malade), la présence médicale posait deux sortes de problèmes.
  • D'abord, il convenait d'harmoniser les deux hiérarchies, celle des universités et celle des hôpitaux. La hiérarchie universitaire était faite de docteurs, d'assistants, d'agrégés et de professeurs. Mais, depuis, le XIXe siècle, existait une hiérarchie hospitalière issue de concours hospitaliers pour des postes faisant l'objet d'une nomination préfectorale : externes, internes, chefs de clinique, chefs de service. Il convenait de mettre de l'ordre dans tout cela. C'est ce que réalisa, d'une part l'ordonnance du 30 décembre 1958 (inspirée par le professeur de médecine Robert Debré) qui créa les Centres hospitaliers et universitaires (C.H.U.) et, d'autre part, le décret du 24 septembre 1960 qui harmonisa les hiérarchies universitaires et hospitalières.
    Deux fonctions, deux salaires : les médecins des hôpitaux qui enseignent en faculté de médecine touchent un double traitement.
  • L'autre problème était d'attirer, principalement dans les hôpitaux non universitaires, des médecins de grand talent, et surtout de pouvoir les attirer à plein temps. A la suite de textes de 1958, 1960, 1961 et 1970, rédigés sous la pression des syndicats médicaux, "la mise en place du plein-temps s'est faite au dépens de principes jusqu'ici considérés comme intangibles du droit public français" (Jean Imbert) : autoriser des agents publics, dans des locaux publics, à exercer une activité libérale (consultations privées à l'hôpital) et une activité commerciale hôtelière (lits privés dans les hôpitaux publics, pour un maximum de 5% des lits). A ce propos, circulent des informations erronées, certaines faisant état de la suppression des lits privés, voire de la disparition des consultations privées. Pour mettre fin à toute incertitude, voici ce qu'il en est aujourd'hui :
    • Les consultations et lits privés furent appelés à l'origine des "activités privées autorisées" (on les appelle aujourd'hui le "secteur libéral"). Celles-ci furent supprimées en 1982, mais rétablies en 1987, et elles ont été finalement confirmées par la loi hospitalière du 31 juillet 1991. Cette activité libérale est aujourd'hui inscrite dans les articles 714.30 et 714.35 du Code de la Santé Publique.
    • Pour plus de détails, on peut consulter le dossier constitué par Martin Baciocchi .

     

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¶ III - L'hôpital psychiatrique

 

 

Le sujet incite d'abord à s'interroger sur la folie. Si la maladie mentale se présente comme une évidence face à certains délires ou/et comportements dangereux, force est de constater que, culturellement, et parfois politiquement, la notion de folie est loin de faire l'unanimité. Pour le gestionnaire, le prodigue est fou alors que pour telle religion c'est un saint, ainsi que d'autres mystiques exaltés. Au Moyen Age, un impie ou un athée était considéré comme fou. Du XVIe au XVIIIe siècle un fou était celui qui sortait de la normalité bourgeoise : trop féodal (Don Quichotte), trop mystique, trop intellectuel (assimilation du génie au fou). En outre cette assimilation pouvait inciter à feindre la folie pour faire croire à son génie (bohème littéraire ou artistique). Quant à la folie politique, la psychiatrie soviétique est allée jusqu'au bout de sa logique en décrivant, dans les manuels des futurs psychiatres, la dissidence politique comme une forme particulière de paranoïa. On comprend dès lors l'importance de la question psychiatrique, bien au-delà de l'histoire administrative. On ne s'étonnera donc pas que l'histoire des institutions psychiatriques trouve dans la Révolution un moment suffisamment fort pour faire le partage du temps, en distinguant le lieu d'asile de la procédure d'internement.

§ 1 - Avant la Révolution.

 

A - L'asile

  • Nous savons que les hôpitaux généraux servirent, entre autres, de lieux de renfermement des fous. Mais rien n'était plus étranger à l'idée d'asile (accueil pour protéger l'individu) ; il s'agissait en fait de mettre à l'écart pour protéger la société.
  • L'idée de protéger le fou dans un asile vint en 1409 à un religieux espagnol, Juan Gilaberto Jofré lorsque, selon le récit traditionnel, il vit au cours d'un sermon des enfants persécuter un fou. Il fonda alors l'ordre de Saint Jean de Dieu, la seule congrégation soignante masculine, ordre utilisé aujourd'hui à d'autres tâches hospitalières, mais qui fut longtemps l'institution qui parsema l'Europe d'établissements accueillant les fous. En France, leur fondation la plus notable fut l'hôpital de Charenton, au XVIIe siècle (moment important dans l'histoire de l'hospitalisation des gens riches : ceux-ci devaient y payer une pension entre 600 et 4000 livres).
  • Malgré la générosité de l'intention, le fonctionnement était loin d'être parfait. Ne voyait-on pas des familles parisiennes "aller voir les fous" le dimanche et soudoyer le gardien pour qu'il les agite un peu grâce à quelques coups de fouet?

B - L'internement

  • Celui-ci pouvait être judiciaire, si la folie était constatée à l'audience.
  • Il pouvait être aussi administratif, souvent à l'initiative de la famille et du voisinage (lorsqu'il ne s'agissait pas d'un placement d'urgence). Par l'intermédiaire de l'intendant ou, à Paris, du lieutenant général de police, on demandait du Roi une lettre de cachet (procédure dont était en fait chargé le Secrétaire d'Etat à la maison du roi). La lettre de cachet (mesure individuelle non soumise, comme la lettre patente, à l'enregistrement des parlements) permettait trop souvent à des familles de régler des comptes parmi les moins avouables. Elles symbolisent beaucoup plus l'arbitraire des familles que celui du roi.

§ 2 - Depuis la Révolution

 

A - L'asile

  • En ce qui concerne le lieu d'internement, la première mesure fut prise par le Directoire qui, après que Charenton avait été nationalisé, décida que cet établissement n'était plus réservé aux fous de la région parisienne.
    • Mais un seul établissement pour toute la France était évidemment insuffisant. C'est pourquoi la loi du 30 juin 1838 établit le principe d'une gestion départementale (par le conseil général) d'établissements spécialisés dans l'accueil des fous.
    • Malheureusement, les nouveaux établissements furent vite insuffisants, en partie du fait d'un accroissement du nombre des maladies mentales causées par les bouleversements politiques, économiques et sociaux, mais aussi parce que les troubles mentaux mineurs vont être de moins en moins acceptés par la population. Le nombre de cette catégorie d'hospitalisés passa ainsi de 10000 en 1830 à 75000 en 1889. C'est pourquoi on vit réapparaître des quartiers spécialisés dans les hôpitaux généraux. Ce pouvaient être de misérables "cabanons" (selon l'expression populaire) : une ancienne étable à Arbois, ou une vieille porcherie à Lunéville (selon une enquête de la fin du XIXe siècle).

     

  • En ce qui concerne le traitement, notons le geste spectaculaire de Philippe Pinel, sous la Convention, retirant leurs chaînes aux fous de Bicêtre (1793), puis de la Salpêtrière (1795 : voyez en ce lieu la statue commémorant le geste).
  • La chose était spectaculaire, mais ne résolvait pas le problème de grands agités. Les chaînes furent ainsi remplacées par la camisole de force (au XIXe siècle), puis, au XXe siècle, par la "camisole chimique" des neuroleptiques. Sans parler des traitements violents ou invalidants (électrochocs, lobotomies, etc.).
  • Notons aussi que de nombreuses difficultés tiennent à des problèmes administratifs : relations entre les médecins et l'administration (les relations sexuelles sont considérées comme bénéfiques par les médecins alors que l'administration y voit un intolérable désordre).
    Il faut aussi noter la question du principe hiérarchique à l'intérieur du monde médical : une expérience encourageante d'un infirmier sera interrompue parce que n'étant pas le fait d'un docteur (témoignage sur ce point d'un infirmier ayant pris l'initiative de randonnées cyclistes aux résultats spectaculairement encourageants).

B - L'internement

  • Deux lois de 1790 ont aboli les lettres de cachet, permis à ceux qui avaient été internés de demander des examens médicaux pour obtenir leur élargissement ou l'autorisation de recevoir de meilleurs soins, et enfin interdit à l'autorité administrative de procéder à tout internement psychiatrique.
  • Les bases de l'actuel régime de l'internement ont été établies par la loi du 30 juin 1838. On y distingue un placement d'office (retour de l'internement administratif) et un placement "volontaire" (à la demande du malade, mais plus souvent de sa famille ou de son entourage).
    Les garanties de la loi de 1838 sont les suivantes :
    • Garanties médicales :
      • Un certificat d'admission
      • Un certificat de 24 heures
      • Un certificat de quinzaine

      (Le danger : que la solidarité médicale incite à ne pas contredire son confrère, et que la grande spécialisation médicale ne prédispose pas certains médecins à bien appréhender les questions psychiatriques)

    • Garanties administratives et judiciaires :
      • Le préfet doit avertir le procureur de la République de tout internement.
      • Le procureur doit visiter les établissements publics tous les six mois et les établissements privés tous les trois mois (plus de risques d'internements abusifs)
      • Tout interné peut, personnellement ou par l'intermédiaire de son représentant légal), demander son élargissement à la juridiction traditionnellement défenderesse des libertés individuelles, c'est-à-dire au Tribunal de grande instance du lieu de l'asile.

     


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