Université Paris X - NANTERRE

Maîtrise : Histoire de l'administration publique

(1er semestre de l'année 2000-2001) - 2e partie, titre I, chapitre 1, section I


Chapitre 1

Le statut et la formation

 

 

 

¶ I - Jusqu'à la Révolution de 1789

 

§ 1 - Le statut

Dans l'Antiquité

  • Dans la cité grecque romaine, seuls sont pris en considérations, les assemblées populaires ou aristocratiques et, dans la perspective qui nous préoccupe, les magistrats, c'est-à-dire ceux qui sont investis d'une fonction d'autorité.

     

  • En ce qui les concerne, le principe est celui de la gratuité : les magistratures étaient ce que les Romains appelaient le chemin des honneurs, c'est-à-dire ce pourquoi on est prêt à consacrer une partie de sa fortune.Nous avons là l'origine de la notion d'honoraires, qui signifiaient à l'origine la somme qu'un magistrat versait à la cité pour remercier les citoyens de l'avoir élu.

     

  • La fonction de magistrat faisait partie de ces activités que la cité antique jugeait dignes de l'homme libre, c'est-à-dire ce que nous appelons aujourd'hui une profession libérale, catégorie sociale qui a perdu sa connotation civique antique et dont la rémunération est aujourd'hui faite d'honoraires qui ont désormais la signification inverse (avec, jusqu'au début du XXe siècle, la situation intermédiaire des honoraires qui n'étaient payés que par ceux qui en avaient les moyens).

     

    Pour aller plus loin :

    • (1) La mystique de l'Honneur d'être généreux , si importante pour l'Antiquité, s'appelaient l'évergétisme (du grec euergetès , le bienfaisant). tout citoyen qui en avait les moyens espérait être un jour décoré de ce titre, ce qui l'incitait à conquérir la gloire par de grands actes de générosité publique. Le titre d'évergète, c'est-à-dire de bienfaisant, était si prisé que les monarques hellénistiques (héritiers de l'Empire d'Alexandre) et les empereurs romains revendiquèrent ce titre comme un privilège. C'est ainsi que la Rome antique put fonctionner si longtemps en offrant à une plèbe oisive "du pain et des jeux". Voir sur ce point : Paul Veyne, Le Pain et le cirque. Sociologie historique d'un pluralisme politique . Paris, Le Seuil, 1976.
    • (2) L'origine de la notion de profession libérale a été, de nos jours, totalement oubliée. Dans l'Antiquité et au Moyen Age, cette "activité digne de l'homme libre" excluait les professions manuelles et mercantiles. La médecine, activité pouvant être servile dans l'Antiquité, a dû, pour être qualifiée au Moyen Age d'art libéral, se séparer de la chirurgie, activité dite "mécanique" (manuelle) et de la pharmacie (mercantile). Aujourd'hui la confusion est faite entre la profession libérale et la catégorie fiscale des professions non-commerciales (ni salariat ni commerce), au point qu'un moniteur de ski ou une prostituée peut parfois se présenter comme exerçant une activité libérale.

       

  • C'est avec l'Empire Romain qu'apparaissent les ancêtres des actuels fonctionnaires. Membres des bureaux impériaux où de ceux des gouverneurs de province, ils s'inscrivent dans une hiérarchie administrative dominée par un empereur présenté comme une "loi vivante" (lex animata : novelle 105) et incarnant de ce fait l'administration. C'est pour la formation des fonctionnaires impériaux qu'apparurent alors les première écoles de droit, la principale étant à Constantinople.

 

Au Moyen Age

Le Moyen Age voit s'opposer une conception féodale et une conception ecclésiastique du pouvoir.

  • La conception féodale insiste sur la relation d'homme à homme, laquelle implique des obligations militaires, mais aussi des devoirs civils dans le domaine de la justice et de l'administration (devoir de conseil). Cette tradition féodale explique la difficulté rencontrée par la monarchie d'Ancien Régime pour mettre en place un système gouvernemental et administratif fondé sur la compétence (réaction nobiliaire contre les ministres roturiers). Le passé féodal de la France pourrait aussi expliquer certaines allégeances politiques dans la haute administration jusqu'à nos jours et, à tous les degrés, jusqu'à la Troisième République (nom du protecteur politique dans le dossier professionnel des fonctionnaires).

     

  • La conception ecclésiastique, héritière à la foi du Christianisme et du droit romain, fonde tout le système de la hiérarchie administrative sur le concept juridique romain du mandat. Elle annonce donc la fonction publique moderne en substituant la relation juridique à l'allégeance personnelle.Mais l'Eglise est aussi à l'origine de certaines dérives. Ainsi, l'appropriation des offices, qui sera la règle sous l'Ancien Régime et dont il existe encore une séquelle avec ce que nous appelons les "offices ministériels", trouve son origine dans l'appropriation viagère des "bénéfices ecclésiastiques" (biens dons les revenus étaient affectés à une fonction ecclésiastique). Les préférences familiales, certes influencées par les pratiques féodales, trouvaient aussi certains exemples dans l'Eglise : ce que nous appelons le "népotisme" trouve en effet son origine dans une coutume pontificale permettant à un nouveau pape de faire nommer un "cardinal neveu".

 

Sous la Monarchie administrative

Rappelons que la période dite de la Monarchie administrative couvre les trois derniers siècles de l'Ancien Régime (XVIe - XVIIIe s.) et qu'on la dénomme ainsi parce que, l'Etat français (le mot "Etat" apparaît alors) ne se contentant plus de sa fonction médiévale de justice et de défense, étend son action dans les secteurs les plus divers de l'existence des sujets : police, salubrité, santé, alimentation, religion, moeurs, sciences, arts, littérature, manufactures, etc. Cette genèse de ce qu'on appellera l'Etat-Providence implique nécessairement une multiplication des agents du roi.

A la fin de l'Ancien Régime, la grande majorité des agents du roi étaient des officiers, les autres étaient des commissaires (sauf chez les ministres où seul le chancelier était un officier, mais sans hérédité ni vénalité) ; les ancêtres des petits fonctionnaires n'étaient pas des agents publics.

  • Les officiers
    Les officiers, nommés par une lettre de provision d'office qui, héritière d'une conception judiciaire du pouvoir, ne définissait pas les fonctions de l'agent royal. La fonction des officiers fut très vite considérée comme viagère.
    Reprenant une pratique canonique concernant les bénéfices ecclésiastiques, les officiers du roi avaient pris l'habitude, au XVIe siècle, de démissionner en faveur d'un successeur qui, en fait, achetait l'office. Le roi François Ier décida de faire profiter les finances publiques de cette pratique : depuis son règne le pouvoir royal vendit les offices et les multiplia uniquement pour l'intérêt financier de l'opération.
    Sous le règne d'Henri IV (en 1604) le payement d'un droit annuel (la
    Paulette , du nom de son inventeur Charles Paulet) correspondant au 1/60e de la valeur de l'office a permis de transmettre les offices héréditairement.

     

  • Les commissaires
    En principe les commissaires, qui n'apparaissent réellement qu'à partir du XVIIe siècle, étaient radicalement différents des officiers. Nommés par une lettre de commission qui définissait rigoureusement leurs fonctions, ils étaient essentiellement révocables à tout instant. Les officiers occupaient généralement des fonctions importantes, entre autres : ministres, conseillers d'Etat, sous oublier les intendants (les ancêtres des préfets).
    En fait la différence avec les officiers est moins radicale qu'il n'y paraît : un commissaire pouvant être institué à vie et même pouvoir transmettre sa fonction en bénéficiant d'une lettre de survivance.

     

  • Les simples commis et employés
    N'étant pas rémunérés sur les fonds publics, leur statut est proche de celui de domestique de l'agent royal dont ils dépendent.

 

§ 2 - La formation

 

A - L'enseignement juridique

  • Au Moyen Age l'histoire de l'enseignement du droit est intimement liée à l'histoire politique et, donc, administrative (nos nuances modernes entre la politique et l'administration ne sont pas antérieure aux XVIIIe siècle).

     

  • Au XIe siècle, les concepts les plus élémentaires du droit romain étaient depuis longtemps oubliés. C'est alors qu'éclata la querelle politique majeure du Moyen Age : celle qui opposa le pouvoir spirituel du Pape au pouvoir temporel de l'Empereur germanique (relayé ensuite par les rois et particulièrement par le roi de France). A court d'arguments on se mit à rechercher dans les bibliothèques de quoi alimenter solidement la controverse. C'est ainsi qu'on redécouvrit les Compilations de Justinien qui, rédigées à Constantinople entre 528 et et 535 et importées en Italie le temps d'un brève reconquête, attendaient de trouver les lecteurs passionnés qui se révélèrent en cette période de renouveau intellectuel.

     

  • A la fin du XI e siècle, l'Ecole de Bologne (devenue Université au XIIIe siècle) fut le siège de ce renouveau. Dans le courant du XIIe siècle, des Bolonais exportèrent l'enseignement du droit romain en France (d'abord Montpellier, puis Paris et, aux XIIIe et XIVe siècles, Orléans et Toulouse) et en Angleterre (Oxford). Ensuite, l'enseignement du droit romain se répandit dans toute l'Europe.

     

  • Celui qui consulte aujourd'hui les oeuvres juridiques des universités médiévales, peut être dérouté : des gloses (notes entre les lignes et en marge), puis des commentaires des textes romains, mais sans aucun ordre logique, ne traitant pas toujours de ce dont il était question dans le texte commenté, sautant curieusement d'un sujet à l'autre, et passant d'une précision grammaticale à une profonde analyse juridique. Mais on cesse d'être étonné, lorsqu'on compare la littérature juridique médiévale à une méthode d'apprentissage d'une langue où, par immersion dans un langage, on découvre à la fois l'idiome, le contexte de celui-ci et en outre la société et la civilisation dans lequel il s'est développé. Pour bien situer la chose, considérez une édition savante de l'oeuvre de Rabelais. La langue ne vous paraît pas étrangère, pourtant vous avez quelques difficultés à la comprendre : tel est à peu près la relation entre le latin des universités médiévales et celui des Compilations de Justinien. En lisant une telle édition de Rabelais, vous apprenez en même temps la langue du début du XVIe siècle, la vie de l'auteur, ainsi que le contexte intellectuel, social et politique de l'oeuvre. C'est exactement ainsi que les universités médiévales formaient des juristes.

     

  • On comprend par là qu'on n'y apprenait pas un droit destiné à être appliqué, mais à utiliser la langue du droit romain et à comprendre les concepts qu'elle véhiculait. Un juriste ainsi formé pouvait devenir le rédacteur ou le commentateur de toutes les sources juridiques : coutumes, statuts urbains, législation du Pape, de l'Empereur germanique, du Roi de France ou de tout autre prince. Utilisable partout, le juriste était de à la fois craint et désiré car on attendait de lui qu'il désigne celui qui pouvait ajouter sa législation à la loi romaine : Pape, Empereur, Roi, autorité municipale etc.

     

  • L'attitude du Roi de France a parfaitement illustré l'ambiguïté du sentiment. En 1219, Philippe Auguste, après avoir vaincu cinq ans plus tôt l'Empereur à Bouvines, demanda au Pape d'interdire l'enseignement du droit romain à Paris : il ne voulait pas que, dans sa capitale, on commente des textes enseignant qu'il fallait obéir à un Empereur romain dont l'Empereur germanique se prétendait l'héritier. Le pape lui donna satisfaction, trop heureux d'abaisser son rival impérial, et loin de se douter que le roi de France se révélerait bientôt le plus redoutable adversaire de la Papauté. L'enseignement du droit à Paris ne fut rétabli que par Louis XIV, en 1669.

     

  • Cependant, peu de temps après l'interdiction parisienne, on vit apparaître et se développer un enseignement du droit à Orléans, en un bord de Loire qui avait conservé un prestige d'érudition (assez près de Fleury, aujourd'hui Saint Benoît sur Loire, qui avait été un haut lieu de la pensée au Xe siècle) et qui ne se trouvait pas très loin de Paris. Bientôt, on vit le roi de France soutenu par l'argumentation des juristes formés à Orléans (entre autres les fameux légistes de Philippe le Bel). Mieux, celui-ci ayant transporté le Saint Siège de Rome en Avignon, l'université d'Orléans devint une véritable "école d'administration" fournissant en juristes aussi bien la Monarchie française que la Papauté d'Avignon.

     

  • Il faut dire qu'entre temps seule la monarchie anglaise avait prétendu pouvoir se passer du droit romain (en fait les concepts romains charpentent fortement les droits anglo-saxons). Tous les autres pouvoirs avaient trouvé le moyen de faire leur miel du droit romain. L'Empereur germanique se présentait comme celui qui, à l'exclusion de tout autre, pouvait légitimement continuer l'oeuvre de Justinien (il avait fait ajouter un Livre des fiefs aux Compilations de Justinien), les canonistes (c'es-à-dire les juristes du Pape) avaient établi que, lorsque le Pape utilisait une disposition du droit romain celle-ci devenait du droit canonique. Quant aux légistes français, ils avaient mis en principe que, chaque fois qu'on trouvait "l'Empereur" dans le droit romain, il suffisait de mettre à la place "le Roi". Et ils concluaient par cette formule définitive : "Le Roi est Empereur en son royaume".

B - La question du droit public

  • L'importance du droit dans la formation des agents des divers pouvoirs pose nécessairement la question du droit public. Il s'agit d'une notion que les juristes médiévaux avaient rencontrée dans les Compilations de Justinien, qui opposaient le droit public au droit privé, lesquels formaient le droit civil, notion qui ne désignait pas, comme de nos jours, une partie du droit privé, mais l'ensemble du droit de la civitas, c'est-à-dire de la cité romaine. En fait, ni les Romains, ni les juristes du Moyen Age n'attribuaient une grande importance au droit public. Pour les Romains, il s'agissait d'une catégorie où ils rangeaient, d'une part, ce qui concernait les prêtres et les sacralités, et d'autre part les disposition relatives aux magistrats, compte tenu qu'ils considéraient que le droit privé constituait l'essentiel du droit civil. Quant aux juristes du Moyen Age, leur désintérêt pour le droit public était encore plus marqué, et cela pour deux raisons :

     

    • - D'abord, du fait de la naissance, au XIIe siècle avec le Décret de Gratien (1140), d'une autre matière juridique, le droit canonique (discipline intermédiaire entre le droit et la théologie). Ils comprirent très vite que tout ce qui concernait les prêtres et les sacralités n'appartenait plus au droit public mais à cette nouvelle discipline juridique qu'était le droit canonique. C'était à leurs yeux une amputation majeure et les Romains auraient eu le même sentiment.

       

    • - Ensuite, parce que ce qui concernait les magistrats n'était pas d'une grande utilité. Certes le droit romain n'était pas étudié comme une législation susceptible d'être appliquée ; encore fallait-il, sous l'angle de la formation intellectuelle des juristes, qu'il n'y ait pas une trop grande différence entre le contexte socio-politique, l'histoire d'une époque et ce qui avait produit la magistratures républicaines et impériales de Rome. Or Rome n'avait connu ni la féodalité, ni l'administration autonome de l'Eglise, ni le mouvement communal, ni l'opposition entre l'Empereur et des monarques insoumis. On sait par ailleurs que l'Eglise était le seul véritable modèle administratif et qu'une formation dans "l'un et l'autre droit" (utriusque juris : le droit civil et le droit canonique) était la meilleure formation pour un futur administrateur. C'est pourquoi la partie des Compilations de Justinien qui contenait essentiellement des dispositions administratives était, dans l'organisation médiévale de l'enseignement juridique, les Trois livres (les Tres libri : les trois derniers livres du Code de Justinien), à savoir une matière mineure dont l'enseignement était confié à un licencié préparant sa thèse (la licence était déjà un diplôme d'enseignement : licentia docendi, l'autorisation d'enseigner).

       

  • Les chose changent à partir du XVIe siècle, avec la montée en puissance des Etats modernes. En France, l'affirmation du pouvoir royal, plus difficile qu'on le croit puisque s'opposant non seulement à la féodalité, mais aussi à une multitude de privilèges locaux, professionnels et personnels, cette affirmation du pouvoir royal conduisit à percevoir le droit public comme le droit du roi et à en faire une matière destinée à la formation de ceux qui pouvaient être appelés à régner. Ce n'est pas par hasard que l'un des rares traités de droit public de l'Ancien Régime ait été celui de l'abbé Fleury, précepteur de Louis XV.

     

  • En Allemagne, la fonction du droit public était très différente. C'est ce qu'exprime clairement cette lettre du président Bouhier (Parlement de Dijon), au conseiller Chifflet (Parlement de Besançon) :

    Dijon, le 23 décembre 1746,

    J'ai été un peu surpris du changement qui vient de se faire dans votre Université. Un Professeur de droit Public me paraît fort inutile dans un royaume où on n'a guère d'égard à ce droit... A la vérité on l'enseigne dans les Universités d'Allemagne. Mais c'est que les Princes eux-mêmes sont obligés de s'en instruire pour maintenir leurs droits contre l'Empereur ou contre les autres Princes. Mais en France, on n'a sur cela d'autre code que le bon plaisir du roi.

    (document publié par G. Chevrier, "Remarques sur l'introduction et les vicissitudes de la distinction du «jus privatum» et du «jus publicum» dans les oeuvres des anciens juristes français", in Archives de philosophie du droit, Nouvelle série, Paris, Sirey, 1952, p. 5-77 - Il est étonnant que cette étude fondamentale, aujourd'hui si difficile d'accès, n'ait pas été rééditée sous forme d'ouvrage, et même en édition de poche).

C - Le Caméralisme

  • L'évocation de l'Allemagne conduit à parler du Caméralisme, discipline dont le nom trouve son origine dans la camera, c'est-à-dire la chambre où les princes médiévaux rangeaient à l'origine leur trésor, mais qui va beaucoup plus loin qu'une simple théorie financière.
  • Le Caméralisme fut une doctrine économique, philosophique, politique et administrative qui se développa dans les pays germaniques, essentiellement entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Le prince y apparaissait comme le " pasteur " du peuple, il était responsable de son bonheur spirituel et matériel. Son administration avait pour fin le développement économique pour assurer le bonheur de tous. La contre-partie était l'emprise de l'Etat sur l'individu, avec chez certains auteurs une véritable obsession du "fichage" (en fait l'inscription sur des registres : nous verrons plus loin comment la fiche fut inventée en France). Le Caméralisme développa la théorie, alors révolutionnaire, de la formation scientifique des fonctionnaires initiés à la philosophie, à l'économie, aux techniques financières et à ce qu'on appellera plus tard la science administrative. Le seul auteur français qu'on puisse rapprocher des caméralistes allemands (d'ailleurs reconnu par eux comme l'un des leurs) fut Nicolas Delamare, auteur, au début du XVIIIe siècle, d'un Traité de la police, véritable trésor pour l'histoire de l'administration française sous l'Ancien Régime.
  • Dans le courant de ce siècle, les universités allemandes possédèrent des facultés de droit et de sciences caméralistes. En France, seule l'Université de Strasbourg, subissant directement l'influence germanique, faisait preuve d'une ouverture dans ce domaine (elle avait même produit un auteur caméraliste, Obrecht). On comprend ainsi qu'au XIXe siècle les universités allemandes étaient devenues en Europe l'exemple à suivre dans le domaine de la formation des fonctionnaires.

§ 3 - La bureaucratie

A - Le pouvoir des ministres

Le terme de ministre fut très longtemps un terme honorifique. Sous l'Ancien Régime , il pouvait simplement désigner un personnage ayant été un jour invité au Conseil du roi. Jusqu'à la IVe République, un ministre pouvait ne pas être chargé d'une administration (par ex. un ministre sans portefeuille censé représenter au gouvernement une tendance politique). Un ministre responsable d'une administration s'appelait en principe un ministre-secrétaire d'Etat. C'est pourquoi ce que nous appelons aujourd'hui un secrétaire d'Etat s'est appelé jusqu'à la IVe République un sous-secrétaire d'Etat.
Au XIVe siècle apparaissent dans l'entourage royal des clercs particuliers devant à leurs les fonctions confidentielles d'être appelés "clercs du secret" ou "secrétaires".
Au XVIe siècle, 4 de ces secrétaires prennent le titre de secrétaire d'Etat. Le 4 secrétaires se partagent l'administration du royaume ; c'est l'origine de la notion de "département ministériel". A ce partage territorial s'est vite ajoutée une spécialité : secrétaire à la Maison du roi, aux Affaires étrangères, à la Guerre et à la Marine.

A la fin de l'Ancien Régime le gouvernement royal est composé de :

  • 4 secrétaires d'Etat
  • 1 chancelier : ministre d'origine médiévale dont les fonctions sont désormais, outre l'apposition du sceau sur les ordonnances royales (pouvant être remplacé par un Garde des sceaux), essentiellement la Justice, ainsi que la tutelle des universités et la censure des livres.
  • 1 contrôleur générale des Finances : Ministre des finances et aussi de l'économie (forte intervention de l'Etat dans le domaine économique : Colbertisme)

    Le gros défaut du système est l'absence d'un ministère de l'Intérieur, pallié par divers moyen :
    Concertation des 4 secrétaires d'Etat au sein du Conseil des dépêches (sorte de ministère de l'Intérieur collectif)
    Action du Contrôleur général des finances, dépassant souvent le cadre financier et économique
    Extension des compétences du secrétaire d'Etat à la Maison du roi (appelé parfois, à partir du XVIIIe siècle, département de l'Intérieur)

B - Le pouvoir des bureaux

L'usage courant est souvent riche d'enseignements : lorsque, dans le première moitié du XVIIIe siècle, on veut s'informer de l'avancement d'une affaire administrative, on dit qu'on "va prendre l'air du bureau". C'est dire qu'on soupçonne déjà que c'est là, dans la routine administrative des scribes anonymes, que l'essentiel se décide.

  • Ce qui retient ici notre attention est que le thème de la bureaucratie (inventé par Gournay, puis traduit dans toutes les langues) est apparu à la fin du règne de Louis XV et au début de celui de Louis XVI en une époque où les fonctionnaires étaient encore peu nombreux, mais où l'interventionnisme de l'Etat était fort critiqué par la discipline naissante de l'Economie politique, dans ce groupe français, faisant parfois figure de secte, et qu'on appelait les Economistes, jusqu'à ce que, à la suite d'une édition des oeuvres de Quesnay par Dupont de Nemours, ils passent à la postérité sous le nom de Physiocrates.
  • La notion d'économie est apparue en Grèce où elle signifiait les lois de la maison (oikos : la maison, nomos : la loi). L'économie signifiait alors qu'entre les lois de la nature, où l'homme était un animal, et les lois de la cité, où l'homme accédait à la civilisation, il fallait intercaler les lois de la maison/famille où l'homme subissait une première ébauche en étant "domestiqué" (du latin domus signifiant la maison), de même que certains animaux "domestiques", et en entrant dans une "familiarité (du latin familia désignant la famille, mais aussi les serviteurs). Les principaux ouvrages sur l'économie sont une oeuvre du disciple de Socrate, Xénophon, et une oeuvre en trois parties de l'école d'Aristote. Dans la pensée Antique l'économie était rigoureusement inférieure aux lois de la cité, lesquelles ne la contrôlaient cependant que fort peu, puisque ce qui se passait dans les maisons était pour l'essentiel dissimulé par le grand secret des familles (à l'origine du secret médical : Serment d'Hippocrate). C'est pour cette raison que l'économie eut longtemps, dans la langue grecque, une connotation vaguement péjorative. C'est aussi ce qui explique aussi la révolte de Diogène, qui respectait les lois de la cité, mais contestait les lois de la maison.
  • Par l'intermédiaire du Christianisme grec, les mots économie et économe passèrent dans le vocabulaire de l'Eglise latine pour désigner ceux qui, dans les monastères ou les collèges, étaient responsable des questions d'intendance, d'approvisionnement, de comptabilité et d'autres préoccupations non spirituelles.
  • C'est Antoine de Montchrestien qui inventa la notion d'économie politique, en publiant en 1715 un Traité d'économie politique , ouvrage au demeurant peu original et se contentant de reproduire les théories mercantilistes et protectionnistes de son temps. Il n'empêche que la notion même d'économie politique déplaçait l'économie, pour la promouvoir au moins au rang des lois de la cité, c'est-à-dire, dans le langage moderne, de l'Etat. Dès lors se posait la question de l'hégémonie des lois économiques.
  • François Quesnay, auteur en 1758 du Tableau économique et fondateur de l'école économique dite des Physiocrates, était médecin et chirurgien. Il pensait que la liberté de circulation des biens était comparable à la circulation du sang. Comme le fera plus tard Adam Smith, théoricien de la liberté du marché, il pense que les lois naturelles doivent s'imposer et, en particulier inspirer les gouvernements. En fait, la croyance n'était pas absente puisque tout deux pensaient que l'économie libérale serait dirigée par une "main invisible", en d'autres termes, la main de Dieu.
  • On comprend que ce milieu était particulièrement hostile à l'interventionnisme de l'administration. C'est ainsi que, selon le témoignage de Frédéric Grimm, principal rédacteur de la Correspondance littéraire, Gournay, l'un des plus influents membres de l'Ecole physiocratique, aurait eu coutume de dire qu'il fallait ajouter aux différents types de pouvoirs (monarchie, aristocratie, démocratie) un autre pouvoir la "bureaucratie". Le mot était inventé : il sera ensuite traduit dans presque toutes les langues.

 


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