Université Paris X -
NANTERRE
Maîtrise : Histoire de l'administration publique
(1er semestre de l'année
2000-2001) - 2e partie, titre I, chapitre 1, section I
Chapitre 1
Le statut et la formation
¶ I - Jusqu'à la Révolution
de 1789
§ 1 - Le statut
Dans l'Antiquité
- Dans la cité grecque
romaine, seuls sont pris en considérations, les
assemblées populaires ou aristocratiques et, dans la
perspective qui nous préoccupe, les magistrats,
c'est-à-dire ceux qui sont investis d'une fonction
d'autorité.
- En ce qui les concerne, le
principe est celui de la gratuité : les magistratures
étaient ce que les Romains appelaient le chemin des
honneurs, c'est-à-dire ce pourquoi on est prêt
à consacrer une partie de sa fortune.Nous avons là
l'origine de la notion d'honoraires, qui signifiaient à
l'origine la somme qu'un magistrat versait à la cité
pour remercier les citoyens de l'avoir élu.
- La fonction de magistrat faisait
partie de ces activités que la cité antique jugeait
dignes de l'homme libre, c'est-à-dire ce que nous appelons
aujourd'hui une profession libérale, catégorie
sociale qui a perdu sa connotation civique antique et dont la
rémunération est aujourd'hui faite d'honoraires qui
ont désormais la signification inverse (avec, jusqu'au
début du XXe siècle, la situation
intermédiaire des honoraires qui n'étaient
payés que par ceux qui en avaient les moyens).
Pour aller plus
loin :
- (1) La mystique de l'Honneur d'être
généreux , si
importante pour l'Antiquité, s'appelaient
l'évergétisme (du grec euergetès
, le bienfaisant). tout citoyen qui en avait les moyens
espérait être un jour décoré de ce
titre, ce qui l'incitait à conquérir la gloire
par de grands actes de générosité
publique. Le titre d'évergète,
c'est-à-dire de bienfaisant, était si
prisé que les monarques hellénistiques
(héritiers de l'Empire d'Alexandre) et les empereurs
romains revendiquèrent ce titre comme un
privilège. C'est ainsi que la Rome antique put
fonctionner si longtemps en offrant à une plèbe
oisive "du pain et des jeux". Voir sur ce point : Paul Veyne,
Le Pain et le cirque.
Sociologie historique d'un pluralisme
politique . Paris, Le Seuil,
1976.
- (2) L'origine de la notion de profession
libérale a été, de nos jours, totalement
oubliée. Dans l'Antiquité et au Moyen Age, cette
"activité digne de l'homme libre" excluait les
professions manuelles et mercantiles. La médecine,
activité pouvant être servile dans
l'Antiquité, a dû, pour être
qualifiée au Moyen Age d'art libéral, se
séparer de la chirurgie, activité dite
"mécanique" (manuelle) et de la pharmacie (mercantile).
Aujourd'hui la confusion est faite entre la profession
libérale et la catégorie fiscale des professions
non-commerciales (ni salariat ni commerce), au point qu'un
moniteur de ski ou une prostituée peut parfois se
présenter comme exerçant une activité
libérale.
- C'est avec l'Empire Romain
qu'apparaissent les ancêtres des actuels fonctionnaires.
Membres des bureaux impériaux où de ceux des
gouverneurs de province, ils s'inscrivent dans une
hiérarchie administrative dominée par un empereur
présenté comme une "loi vivante" (lex animata : novelle 105) et incarnant de ce fait
l'administration. C'est pour la formation des fonctionnaires
impériaux qu'apparurent alors les première
écoles de droit, la principale étant à
Constantinople.
Au Moyen Age
Le Moyen Age voit s'opposer une
conception
féodale et une
conception
ecclésiastique du
pouvoir.
- La conception féodale insiste sur la relation d'homme à homme,
laquelle implique des obligations militaires, mais aussi des
devoirs civils dans le domaine de la justice et de
l'administration (devoir de conseil). Cette tradition
féodale explique la difficulté rencontrée par
la monarchie d'Ancien Régime pour mettre en place un
système gouvernemental et administratif fondé sur la
compétence (réaction nobiliaire contre les ministres
roturiers). Le passé féodal de la France pourrait
aussi expliquer certaines allégeances politiques dans la
haute administration jusqu'à nos jours et, à tous
les degrés, jusqu'à la Troisième
République (nom du protecteur politique dans le dossier
professionnel des fonctionnaires).
- La conception ecclésiastique, héritière à la foi
du Christianisme et du droit romain, fonde tout le système
de la hiérarchie administrative sur le concept juridique
romain du mandat. Elle annonce donc la fonction publique moderne
en substituant la relation juridique à l'allégeance
personnelle.Mais l'Eglise est aussi à l'origine de
certaines dérives. Ainsi, l'appropriation des offices, qui
sera la règle sous l'Ancien Régime et dont il existe
encore une séquelle avec ce que nous appelons les "offices
ministériels", trouve son origine dans l'appropriation
viagère des "bénéfices
ecclésiastiques" (biens dons les revenus étaient
affectés à une fonction ecclésiastique). Les
préférences familiales, certes influencées
par les pratiques féodales, trouvaient aussi certains
exemples dans l'Eglise : ce que nous appelons le
"népotisme" trouve en effet son origine dans une coutume
pontificale permettant à un nouveau pape de faire nommer un
"cardinal neveu".
Sous la Monarchie
administrative
Rappelons que la période dite
de la Monarchie administrative couvre les trois derniers
siècles de l'Ancien Régime (XVIe - XVIIIe s.) et qu'on
la dénomme ainsi parce que, l'Etat français (le mot
"Etat" apparaît alors) ne se contentant plus de sa fonction
médiévale de justice et de défense, étend
son action dans les secteurs les plus divers de l'existence des
sujets : police, salubrité, santé, alimentation,
religion, moeurs, sciences, arts, littérature, manufactures,
etc. Cette genèse de ce qu'on appellera l'Etat-Providence
implique nécessairement une multiplication des agents du
roi.
A la fin de l'Ancien Régime, la grande
majorité des agents du roi étaient des officiers, les autres
étaient des commissaires (sauf chez les
ministres où seul le chancelier était un officier, mais
sans hérédité ni vénalité) ; les
ancêtres des petits
fonctionnaires n'étaient pas des
agents publics.
- Les officiers
Les officiers, nommés par une lettre de provision d'office
qui, héritière d'une conception judiciaire du
pouvoir, ne définissait pas les fonctions de l'agent royal.
La fonction des officiers fut très vite
considérée comme viagère.
Reprenant une pratique canonique concernant les
bénéfices ecclésiastiques, les officiers du
roi avaient pris l'habitude, au XVIe siècle, de
démissionner en faveur d'un successeur qui, en fait,
achetait l'office. Le roi François Ier décida de
faire profiter les finances publiques de cette pratique : depuis
son règne le pouvoir royal vendit les offices et les
multiplia uniquement pour l'intérêt financier de
l'opération.
Sous le règne d'Henri IV (en 1604) le payement d'un droit
annuel (la Paulette , du nom de son
inventeur Charles Paulet) correspondant au 1/60e de la valeur de
l'office a permis de transmettre les offices
héréditairement.
- Les commissaires
En principe les commissaires, qui n'apparaissent réellement
qu'à partir du XVIIe siècle, étaient
radicalement différents des officiers. Nommés par
une lettre de commission qui définissait rigoureusement
leurs fonctions, ils étaient essentiellement
révocables à tout instant. Les officiers occupaient
généralement des fonctions importantes, entre autres
: ministres, conseillers d'Etat, sous oublier les intendants (les
ancêtres des préfets).
En fait la différence avec les officiers est moins radicale
qu'il n'y paraît : un commissaire pouvant être
institué à vie et même pouvoir transmettre sa
fonction en bénéficiant d'une lettre de
survivance.
- Les simples commis et
employés
N'étant pas rémunérés sur les fonds
publics, leur statut est proche de celui de domestique de l'agent
royal dont ils dépendent.
§ 2 - La
formation
A - L'enseignement
juridique
- Au Moyen Age l'histoire de
l'enseignement du droit est intimement liée à
l'histoire politique et, donc, administrative (nos nuances
modernes entre la politique et l'administration ne sont pas
antérieure aux XVIIIe siècle).
- Au XIe siècle, les
concepts les plus élémentaires du droit romain
étaient depuis longtemps oubliés. C'est alors
qu'éclata la querelle politique majeure du Moyen Age :
celle qui opposa le pouvoir spirituel du Pape au pouvoir temporel
de l'Empereur germanique (relayé ensuite par les rois et
particulièrement par le roi de France). A court d'arguments
on se mit à rechercher dans les bibliothèques de
quoi alimenter solidement la controverse. C'est ainsi qu'on
redécouvrit les Compilations de Justinien qui, rédigées à
Constantinople entre 528 et et 535 et importées en Italie
le temps d'un brève reconquête, attendaient de
trouver les lecteurs passionnés qui se
révélèrent en cette période de
renouveau intellectuel.
- A la fin du XI e
siècle, l'Ecole de Bologne (devenue Université au
XIIIe siècle) fut le siège de ce renouveau. Dans le
courant du XIIe siècle, des Bolonais exportèrent
l'enseignement du droit romain en France (d'abord Montpellier,
puis Paris et, aux XIIIe et XIVe siècles, Orléans et
Toulouse) et en Angleterre (Oxford). Ensuite, l'enseignement du
droit romain se répandit dans toute l'Europe.
- Celui qui consulte aujourd'hui
les oeuvres juridiques des universités
médiévales, peut être dérouté :
des gloses (notes entre les lignes et en marge), puis des
commentaires des textes romains, mais sans aucun ordre logique, ne
traitant pas toujours de ce dont il était question dans le
texte commenté, sautant curieusement d'un sujet à
l'autre, et passant d'une précision grammaticale à
une profonde analyse juridique. Mais on cesse d'être
étonné, lorsqu'on compare la littérature
juridique médiévale à une méthode
d'apprentissage d'une langue où, par immersion dans un
langage, on découvre à la fois l'idiome, le contexte
de celui-ci et en outre la société et la
civilisation dans lequel il s'est développé. Pour
bien situer la chose, considérez une édition savante
de l'oeuvre de Rabelais. La langue ne vous paraît pas
étrangère, pourtant vous avez quelques
difficultés à la comprendre : tel est à peu
près la relation entre le latin des universités
médiévales et celui des Compilations de Justinien.
En lisant une telle édition de Rabelais, vous apprenez en
même temps la langue du début du XVIe siècle,
la vie de l'auteur, ainsi que le contexte intellectuel, social et
politique de l'oeuvre. C'est exactement ainsi que les
universités médiévales formaient des
juristes.
- On comprend par là
qu'on n'y apprenait pas un droit destiné à
être appliqué, mais à utiliser la langue du
droit romain et à comprendre les concepts qu'elle
véhiculait. Un juriste ainsi formé pouvait devenir
le rédacteur ou le commentateur de toutes les sources
juridiques : coutumes, statuts urbains, législation du
Pape, de l'Empereur germanique, du Roi de France ou de tout autre
prince. Utilisable partout, le juriste était de à la
fois craint et désiré car on attendait de lui qu'il
désigne celui qui pouvait ajouter sa législation
à la loi romaine : Pape, Empereur, Roi, autorité
municipale etc.
- L'attitude du Roi de France a
parfaitement illustré l'ambiguïté du sentiment.
En 1219, Philippe Auguste, après avoir vaincu cinq ans plus
tôt l'Empereur à Bouvines, demanda au Pape
d'interdire l'enseignement du droit romain à Paris : il ne
voulait pas que, dans sa capitale, on commente des textes
enseignant qu'il fallait obéir à un Empereur romain
dont l'Empereur germanique se prétendait l'héritier.
Le pape lui donna satisfaction, trop heureux d'abaisser son rival
impérial, et loin de se douter que le roi de France se
révélerait bientôt le plus redoutable
adversaire de la Papauté. L'enseignement du droit à
Paris ne fut rétabli que par Louis XIV, en 1669.
- Cependant, peu de temps
après l'interdiction parisienne, on vit apparaître et
se développer un enseignement du droit à
Orléans, en un bord de Loire qui avait conservé un
prestige d'érudition (assez près de Fleury,
aujourd'hui Saint Benoît sur Loire, qui avait
été un haut lieu de la pensée au Xe
siècle) et qui ne se trouvait pas très loin de
Paris. Bientôt, on vit le roi de France soutenu par
l'argumentation des juristes formés à Orléans
(entre autres les fameux légistes de Philippe le Bel).
Mieux, celui-ci ayant transporté le Saint Siège de
Rome en Avignon, l'université d'Orléans devint une
véritable "école d'administration" fournissant en
juristes aussi bien la Monarchie française que la
Papauté d'Avignon.
- Il faut dire qu'entre temps
seule la monarchie anglaise avait prétendu pouvoir se
passer du droit romain (en fait les concepts romains charpentent
fortement les droits anglo-saxons). Tous les autres pouvoirs
avaient trouvé le moyen de faire leur miel du droit romain.
L'Empereur germanique se présentait comme celui qui,
à l'exclusion de tout autre, pouvait légitimement
continuer l'oeuvre de Justinien (il avait fait ajouter un
Livre des
fiefs aux
Compilations de
Justinien), les
canonistes (c'es-à-dire les juristes du Pape) avaient
établi que, lorsque le Pape utilisait une disposition du
droit romain celle-ci devenait du droit canonique. Quant aux
légistes français, ils avaient mis en principe que,
chaque fois qu'on trouvait "l'Empereur" dans le droit romain, il
suffisait de mettre à la place "le Roi". Et ils concluaient
par cette formule définitive : "Le Roi est Empereur en son
royaume".
B - La question du droit
public
- L'importance du droit dans la
formation des agents des divers pouvoirs pose
nécessairement la question du droit public. Il s'agit d'une
notion que les juristes médiévaux avaient
rencontrée dans les Compilations de Justinien, qui opposaient le droit public au
droit privé, lesquels formaient le droit civil, notion qui
ne désignait pas, comme de nos jours, une partie du droit
privé, mais l'ensemble du droit de la civitas, c'est-à-dire de la cité romaine.
En fait, ni les Romains, ni les juristes du Moyen Age
n'attribuaient une grande importance au droit public. Pour les
Romains, il s'agissait d'une catégorie où ils
rangeaient, d'une part, ce qui concernait les prêtres et les
sacralités, et d'autre part les disposition relatives aux
magistrats, compte tenu qu'ils considéraient que le droit
privé constituait l'essentiel du droit civil. Quant aux
juristes du Moyen Age, leur désintérêt pour le
droit public était encore plus marqué, et cela pour
deux raisons :
- - D'abord, du fait de la
naissance, au XIIe siècle avec le Décret de
Gratien (1140), d'une autre matière juridique, le droit
canonique (discipline intermédiaire entre le droit et la
théologie). Ils comprirent très vite que tout ce
qui concernait les prêtres et les sacralités
n'appartenait plus au droit public mais à cette nouvelle
discipline juridique qu'était le droit canonique.
C'était à leurs yeux une amputation majeure et
les Romains auraient eu le même sentiment.
- - Ensuite, parce que ce qui
concernait les magistrats n'était pas d'une grande
utilité. Certes le droit romain n'était pas
étudié comme une législation susceptible
d'être appliquée ; encore fallait-il, sous l'angle
de la formation intellectuelle des juristes, qu'il n'y ait pas
une trop grande différence entre le contexte
socio-politique, l'histoire d'une époque et ce qui avait
produit la magistratures républicaines et
impériales de Rome. Or Rome n'avait connu ni la
féodalité, ni l'administration autonome de
l'Eglise, ni le mouvement communal, ni l'opposition entre
l'Empereur et des monarques insoumis. On sait par ailleurs que
l'Eglise était le seul véritable modèle
administratif et qu'une formation dans "l'un et l'autre droit"
(utriusque
juris : le droit
civil et le droit canonique) était la meilleure
formation pour un futur administrateur. C'est pourquoi la
partie des Compilations de Justinien qui contenait essentiellement des
dispositions administratives était, dans l'organisation
médiévale de l'enseignement juridique, les
Trois
livres (les Tres libri : les trois
derniers livres du Code de
Justinien), à savoir une
matière mineure dont l'enseignement était
confié à un licencié préparant sa
thèse (la licence était déjà un
diplôme d'enseignement : licentia docendi,
l'autorisation d'enseigner).
- Les chose changent à partir du XVIe
siècle, avec la montée en puissance des Etats
modernes. En France, l'affirmation du pouvoir royal, plus
difficile qu'on le croit puisque s'opposant non seulement à
la féodalité, mais aussi à une multitude de
privilèges locaux, professionnels et personnels, cette
affirmation du pouvoir royal conduisit à percevoir le droit
public comme le droit du roi et à en faire une
matière destinée à la formation de ceux qui
pouvaient être appelés à régner. Ce
n'est pas par hasard que l'un des rares traités de droit
public de l'Ancien Régime ait été celui de
l'abbé Fleury, précepteur de Louis XV.
- En Allemagne, la fonction du droit public
était très différente. C'est ce qu'exprime
clairement cette lettre du président Bouhier (Parlement de
Dijon), au conseiller Chifflet (Parlement de Besançon)
:
Dijon, le 23
décembre 1746,
J'ai été un peu surpris du
changement qui vient de se faire dans votre Université. Un
Professeur de droit Public me paraît fort inutile dans un
royaume où on n'a guère d'égard à ce
droit... A la vérité on l'enseigne dans les
Universités d'Allemagne. Mais c'est que les Princes
eux-mêmes sont obligés de s'en instruire pour
maintenir leurs droits contre l'Empereur ou contre les autres
Princes. Mais en France, on n'a sur cela d'autre code que le bon
plaisir du roi.
(document publié par G. Chevrier,
"Remarques sur l'introduction et les vicissitudes de la
distinction du «jus privatum» et du «jus
publicum» dans les oeuvres des anciens juristes
français", in Archives de philosophie du droit,
Nouvelle série, Paris, Sirey, 1952, p. 5-77 - Il est
étonnant que cette étude fondamentale, aujourd'hui
si difficile d'accès, n'ait pas été
rééditée sous forme d'ouvrage, et même
en édition de poche).
C - Le Caméralisme
- L'évocation de l'Allemagne conduit
à parler du Caméralisme, discipline dont le nom
trouve son origine dans la camera, c'est-à-dire
la chambre où les princes médiévaux
rangeaient à l'origine leur trésor, mais qui va
beaucoup plus loin qu'une simple théorie
financière.
- Le Caméralisme fut une doctrine
économique, philosophique, politique et administrative qui
se développa dans les pays germaniques, essentiellement
entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Le prince y apparaissait
comme le " pasteur " du peuple, il était
responsable de son bonheur spirituel et matériel. Son
administration avait pour fin le développement
économique pour assurer le bonheur de tous. La
contre-partie était l'emprise de l'Etat sur l'individu,
avec chez certains auteurs une véritable obsession du
"fichage" (en fait l'inscription sur des registres : nous verrons
plus loin comment la fiche fut inventée en France). Le
Caméralisme développa la théorie, alors
révolutionnaire, de la formation scientifique des
fonctionnaires initiés à la philosophie, à
l'économie, aux techniques financières et à
ce qu'on appellera plus tard la science administrative. Le seul
auteur français qu'on puisse rapprocher des
caméralistes allemands (d'ailleurs reconnu par eux comme
l'un des leurs) fut Nicolas Delamare, auteur, au début du
XVIIIe siècle, d'un Traité
de la police, véritable
trésor pour l'histoire de l'administration française
sous l'Ancien Régime.
- Dans le courant de ce siècle, les
universités allemandes possédèrent des
facultés de droit et de sciences caméralistes. En
France, seule l'Université de Strasbourg, subissant
directement l'influence germanique, faisait preuve d'une ouverture
dans ce domaine (elle avait même produit un auteur
caméraliste, Obrecht). On comprend ainsi qu'au XIXe
siècle les universités allemandes étaient
devenues en Europe l'exemple à suivre dans le domaine de la
formation des fonctionnaires.
§ 3 - La bureaucratie
A - Le pouvoir des ministres
Le terme de ministre fut très longtemps un
terme honorifique. Sous l'Ancien Régime , il pouvait
simplement désigner un personnage ayant été un
jour invité au Conseil du roi. Jusqu'à la IVe
République, un ministre pouvait ne pas être
chargé d'une administration (par ex. un ministre sans
portefeuille censé représenter au gouvernement une
tendance politique). Un ministre responsable d'une administration
s'appelait en principe un ministre-secrétaire d'Etat. C'est
pourquoi ce que nous appelons aujourd'hui un secrétaire d'Etat
s'est appelé jusqu'à la IVe République un
sous-secrétaire d'Etat.
Au XIVe siècle apparaissent dans l'entourage royal des clercs
particuliers devant à leurs les fonctions confidentielles
d'être appelés "clercs du secret" ou
"secrétaires".
Au XVIe siècle, 4 de ces secrétaires prennent le titre
de secrétaire d'Etat. Le 4 secrétaires se partagent
l'administration du royaume ; c'est l'origine de la notion de
"département ministériel". A ce partage territorial
s'est vite ajoutée une spécialité :
secrétaire à la Maison du roi, aux Affaires
étrangères, à la Guerre et à la
Marine.
A la fin de l'Ancien Régime le gouvernement
royal est composé de :
- 4 secrétaires d'Etat
- 1 chancelier : ministre d'origine
médiévale dont les fonctions sont désormais,
outre l'apposition du sceau sur les ordonnances royales (pouvant
être remplacé par un Garde des sceaux),
essentiellement la Justice, ainsi que la tutelle des
universités et la censure des livres.
- 1 contrôleur générale des
Finances : Ministre des finances et aussi de l'économie
(forte intervention de l'Etat dans le domaine économique :
Colbertisme)
Le gros défaut du
système est l'absence d'un ministère de
l'Intérieur, pallié par divers moyen :
Concertation des 4 secrétaires d'Etat au sein du Conseil
des dépêches (sorte de ministère de
l'Intérieur collectif)
Action du Contrôleur général des finances,
dépassant souvent le cadre financier et
économique
Extension des compétences du secrétaire d'Etat
à la Maison du roi (appelé parfois, à partir
du XVIIIe siècle, département de
l'Intérieur)
B - Le pouvoir des bureaux
L'usage courant est souvent riche d'enseignements
: lorsque, dans le première moitié du XVIIIe
siècle, on veut s'informer de l'avancement d'une affaire
administrative, on dit qu'on "va prendre l'air du bureau". C'est dire
qu'on soupçonne déjà que c'est là, dans
la routine administrative des scribes anonymes, que l'essentiel se
décide.
- Ce qui retient ici notre attention est que le
thème de la bureaucratie (inventé par Gournay, puis
traduit dans toutes les langues) est apparu à la fin du
règne de Louis XV et au début de celui de Louis XVI
en une époque où les fonctionnaires étaient
encore peu nombreux, mais où l'interventionnisme de l'Etat
était fort critiqué par la discipline naissante de
l'Economie politique, dans ce groupe français, faisant
parfois figure de secte, et qu'on appelait les Economistes,
jusqu'à ce que, à la suite d'une édition des
oeuvres de Quesnay par Dupont de Nemours, ils passent à la
postérité sous le nom de Physiocrates.
- La notion d'économie est apparue en
Grèce où elle signifiait les lois de la maison
(oikos
: la maison, nomos : la loi). L'économie signifiait alors qu'entre
les lois de la nature, où l'homme était un animal,
et les lois de la cité, où l'homme accédait
à la civilisation, il fallait intercaler les lois de la
maison/famille où l'homme subissait une première
ébauche en étant "domestiqué" (du latin
domus
signifiant la maison), de même que certains animaux
"domestiques", et en entrant dans une "familiarité (du
latin familia désignant la famille, mais aussi les
serviteurs). Les principaux ouvrages sur l'économie sont
une oeuvre du disciple de Socrate, Xénophon, et une oeuvre
en trois parties de l'école d'Aristote. Dans la
pensée Antique l'économie était
rigoureusement inférieure aux lois de la cité,
lesquelles ne la contrôlaient cependant que fort peu,
puisque ce qui se passait dans les maisons était pour
l'essentiel dissimulé par le grand secret des familles
(à l'origine du secret médical : Serment d'Hippocrate). C'est
pour cette raison que l'économie eut longtemps, dans la
langue grecque, une connotation vaguement péjorative. C'est
aussi ce qui explique aussi la révolte de Diogène,
qui respectait les lois de la cité, mais contestait les
lois de la maison.
- Par l'intermédiaire du Christianisme
grec, les mots économie et économe passèrent
dans le vocabulaire de l'Eglise latine pour désigner ceux
qui, dans les monastères ou les collèges,
étaient responsable des questions d'intendance,
d'approvisionnement, de comptabilité et d'autres
préoccupations non spirituelles.
- C'est Antoine de Montchrestien qui inventa la
notion d'économie politique, en publiant en 1715 un
Traité d'économie
politique , ouvrage au demeurant peu
original et se contentant de reproduire les théories
mercantilistes et protectionnistes de son temps. Il
n'empêche que la notion même d'économie
politique déplaçait l'économie, pour la
promouvoir au moins au rang des lois de la cité,
c'est-à-dire, dans le langage moderne, de l'Etat.
Dès lors se posait la question de l'hégémonie
des lois économiques.
- François Quesnay, auteur en 1758 du
Tableau
économique et fondateur de
l'école économique dite des Physiocrates,
était médecin et chirurgien. Il pensait que la
liberté de circulation des biens était comparable
à la circulation du sang. Comme le fera plus tard Adam
Smith, théoricien de la liberté du marché, il
pense que les lois naturelles doivent s'imposer et, en particulier
inspirer les gouvernements. En fait, la croyance n'était
pas absente puisque tout deux pensaient que l'économie
libérale serait dirigée par une "main invisible", en
d'autres termes, la main de Dieu.
- On comprend que ce milieu était
particulièrement hostile à l'interventionnisme de
l'administration. C'est ainsi que, selon le témoignage de
Frédéric Grimm, principal rédacteur de la
Correspondance
littéraire, Gournay, l'un des
plus influents membres de l'Ecole physiocratique, aurait eu
coutume de dire qu'il fallait ajouter aux différents types
de pouvoirs (monarchie, aristocratie, démocratie) un autre
pouvoir la "bureaucratie". Le mot était inventé : il
sera ensuite traduit dans presque toutes les langues.
Plan du cours