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Jean-Pierre BAUD

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organes...)13. Avant l'opération d'intégration, l'individu
entretient avec ces choses un rapport de personne à chose : il
doit les acheter ou attendre qu'on les lui donne. C'est donc un
rapport de droit : même si, physiologiquement, l'homme a
besoin de l'une de ces choses, il ne peut l'obtenir que s'il se
l'approprie juridiquement. On peut le considérer comme

injuste, mais c'est juridiquement correct.
Après l'intégration, par manducation, injection ou
greffe, on sort du monde juridique pour entrer dans la sphère
physiologique : celui qui a mangé le pain qu'il a volé peut-être
condamné à subir une peine, à indemniser en argent, mais il est
impossible de le contraindre à restituer
14. Car il n'y a plus de
rapport de personne à chose, mais un rapport de chose à chose,
c'est-à-dire une situation hors du droit. Avec l'intégration, le
corps tente de faire de la chose intégrée une chose corporelle,
transformation très importante juridiquement, qui pourtant n'est
pas une opération juridique. L'intégration peut être parfaite
(greffe, transfusion ou vaccination réussies). Elle peut être aussi
naturellement incomplète (évacuation excrémentielle). Il se peut
enfin que ce soit un échec : indigestion, phénomène de rejet,
empoisonnement, contamination, décès, c'est-à-dire des
phénomènes physiologiques qui, en tant que rapport de chose à
chose n'entrent pas dans le droit, même si les responsabilités, en


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13En fait, la transfusion de sang complet, qui est un tissu liquide, s'apparente
plutôt à la greffe.
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D'où de très grands problèmes du côté de la morale. Si, comme on va le
voir, la détresse physiologique explique le vol de l'affamé, personne ne
songera à justifier l'acte de celui qui a mutilé ou tué pour se procurer un
organe nécessaire à sa vie ou à son confort ; pourtant, incorporé
physiologiquement, celui-ci ne peut lui être juridiquement réclamé. Pour
entraver l'abominable trafic d'organes qui s'est mis en place, la seule solution
actuellement envisageable est de renforcer considérablement la répression de
la mutilation volontaire et de créer la circonstance aggravante de l'homicide
avec prélèvement d'organe. Pour récupérer un organe volé et greffé, il
faudrait rétablir la peine de mutilation. Mais le droit pénal doit-il répondre à la
barbarie par la barbarie?