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Disons que ce qui distingue la mère de l'enfant, dans cette situation dramatique où il faut sacrifier la vie de l'un des deux, tient à ce que seule la mère en est arrivée là du fait d'un acte sexuel.
Lorsqu'on s'en tient à ce qui s'exprime, il est évident que, face à l'innocence de l'enfant, il n'est pas concevable d'évoquer expressément la culpabilité morale de la mère. Mais c'est en changeant habilement de registre, c'est-à-dire en passant du juridico-moral au physiologique, que la condamnation s'exprime. L'enfant est un sujet de droits dont on défend le droit à la vie, la mère est un être qui a vécu sexuellement et qui va mourir :
"En France surtout, on répugnait à cette pensée de tuer
froidement un innocent, même dans le but, louable en soi,
de sauver une agonisante."
Alors que la mort de l'un ou de l'autre dépend d'un acte chirurgical, on décide ainsi que c'est la mère qui est une agonisante. On aurait pu dire la même chose de l'enfant : il aurait suffit de juger celui-ci physiologiquement et celle-là juridiquement, c'est-à-dire faire de la mère un sujet de droit.
En envisageant le cas de la mère sous l'angle physiologique, le théologien laisse fonctionner un grand appareil de sous-entendus. Parce que, en définitive, comment l'a-t-elle fait cet enfant? La culpabilité de la mère qui a pratiqué l'acte de chair est à la fois évidente et inavouable expressément. Mais le détour vers la piété populaire est suffisamment loquace :
"Bien que la sainteté du mariage ait rendu ma
conception légitime, je confesse que la concupiscence y a
mêlé son venin et qu'elle m'a fait faire des fautes qui vous
déplaisent."
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Cette Prière de la femme enceinte, fort en usage aux XVIIe et XVIIIe siècles, dit tout ce que ne peut exprimer le savant théologien : que le tabou sexuel génère une culpabilité qui, appartenant au domaine du sacré, s'inscrit dans la matérialité corporelle, c'est-à-dire dans un monde étranger à la culpabilité morale et juridique. En suggérant une effarante culpabilité physiologique de la mère (concevoir quand on n'a pas le bassin assez large), le théologien désigne en fait le terrain de la matérialité corporelle où se situe aussi la sacralité sauvage du pur et de

IMAGE imgs/baud.donner01.gif 13J. GELIS, op. cit., p. 238.

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